Le port de Montréal, car je n'ai pas de photo du lac Magog!!! |
Petite entrée en
matière
J’ai
sept ou huit ans et je fais les quatre cents coups avec mon ami André qui passe
l’été dans le chalet en face de ma maison : nous explorons le ruisseau au
milieu des orties, et il hurle à la mort lorsque sa mère le badigeonne de
mercurochrome; nous montons par le poteau de téléphone sur le toit du hangar,
puis nous sautons en imitant Batman; il me flanque à l’eau pour m’apprendre à
nager ou me pousse vigoureusement dans le dos en criant : «Pédale!» pour
que j’arrive à me tenir en selle sur ma nouvelle bicyclette… Comme nous sommes
inséparables et de la même blondeur, on nous prend pour frère et sœur, et ma
mère en profite pour m’envoyer avec lui chez le dentiste : première visite
à vie pour moi…
Afin
de m’encourager, on décide qu’il passera le premier : vous savez, lorsqu’autrefois
on égorgeait le cochon? Mes tantes m’ont raconté qu’elles détestaient aller à l’école
ces jours où l’on faisait boucherie, car, dans chaque ferme, c’était des cris à
fendre l’âme. Je suis tellement
rassurée, lorsque vient mon tour, qu’on doit me chloroformer! C’était une autre
époque.
Les crapets-soleil
Exploit montrable |
Ce
matin-là, remis de nos émotions dentaires, nous décidons d’aller pêcher le
crapet-soleil puisque la rivière, qui n’est pas très loin, en regorge. Je connais pourtant bien cette Rivière-des-prairies. Ma mère, qui ne sait pas nager, m’a mise en
garde à de multiples reprises. J’ai
cependant déjà, ce qui n’a pas changé d’un iota, une tête de mule carabinée et
j’ai décidé que j’allais pêcher le crapet-soleil avec André.
Ma
mère m’a cherchée et elle a fini par me trouver.
Cinq
pieds et sept, c’est bien assez pour me cacher le soleil : je n’entends
pas ma mère approcher, et aucune parole n’est proférée, mais je vois tout à
coup une ombre au-dessus de moi, et ce ne sont pas des nuages.
Je
n’ai aucun souvenir du trajet de la rivière à la maison. Ma mère ne m’a pas parlé, elle ne m’a pas
touchée, mais, comme on dit ici, j’ai l’impression de ne pas avoir porté à
terre. Disons qu’à ce jour, plus de quarante ans plus tard, alors que les
cendres maternelles sont depuis bien longtemps mêlées à cette terre, je ne suis
jamais retournée pêcher le crapet-soleil ou autre chose.
Marin émérite vous
dites?
La
peur maladive de l’eau de ma mère s’est à nouveau manifestée quelques années
plus tard dans un épisode d’anthologie qu’il aurait fallu filmer.
J’ai
dix-sept ou dix-huit ans, l’âge de tous les possibles, et je viens de découvrir
la voile qui me fascine. Comme je ne me
mouche pas avec des pelures d’oignon, c’est sur un long voilier de compétition
que je fais mes débuts, un Catamaran avec ses deux coques. Je vogue donc, tignasse au vent, grisée par
la vitesse, sur le petit lac Magog avec la fille du propriétaire de l’embarcation,
Chantal.
À
l’époque, le détail est d’importance, je pèse quatre-vingt-dix-neuf livres
mouillée et tout habillée. Même chose
pour Chantal.
Nous
naviguons donc, par un jour de grand vent, penchant dangereusement le Catamaran,
pour le plaisir d’avoir peur juste ce qu’il faut. Un peu d’eau pénètre dans le bateau, mais
nous ne prenons pas la peine d’écoper, tout au plaisir de fendre les flots à
vive allure.
Tout
à coup, le voilier ne fait ni une ni deux, et coule tout bonnement, entraîné
par le poids de l’eau amassée dans la coque.
Par manque d’expérience, nous n’avons pas donné le petit coup qui aurait
permis de détacher la grand’voile avant que le bateau ne s’enfonce. Elle se remplit donc à son tour d’eau. Chantal et moi avons beau sauté sur la quille
pour tenter de redresser le bateau, nous ne faisons littéralement pas le poids.
À
ce stade-ci, vous vous demandez peut-être où est ma mère puisque ces petits
récits doivent la mettre en scène… Elle est, depuis le début, sur le quai, à
bonne distance, derrière un télescope!
Elle surveille sa progéniture et, en assistant à l’épisode décrit plus
haut, elle se met à trépigner, à faire la danse de St-Guy, à gesticuler sur le
quai.
Du
milieu du lac, inatteignables que nous sommes, nous la regardons benoîtement s’agiter…
C’est
finalement le père de Chantal qui, avec une embarcation à moteur, s’est
approché pour décrocher l’extrémité de la voile; l’eau qu’elle contenait
libérée, nous avons enfin pu redresser l’embarcation, repartir et accoster
assez loin de notre point de départ, le vent un peu fort nous ayant empêché de manœuvrer
comme nous l’entendions. Nous avons donc
dû marcher sur des cailloux acérés pour ramener le voilier à quai.
Comme
j’étais devenue à peu près de la même taille qu’elle, ma mère ne pouvait plus m’impressionner
en me cachant le soleil. Elle s’est tout
de même vengée en me faisant croire que mes blessures au pied allaient s’infecter
et que je mourrais en décrivant l’arc du terrible tétanos pour lequel je n’avais
pas été vaccinée. Casse-cou mais
légèrement hypocondriaque, j’ai passé une très mauvaise soirée!
P.S. Petit ajout pour Michelaise... sauf que, maintenant que j'ai vu la bête, je ne sais plus si c'était des crapets-soleil ou de la perchaude... je me tâte...
Ces deux images proviennent du site des ressources naturelles et de la faune du Québec . Le premier poisson est une perchuade et le second, un crapet-soleil... |
Charmant, ton souvenir !
RépondreSupprimerMa mère aussi détestait l'eau et je peux très bien l'imaginer dans la même situation... (et avec la même "punition" du soir...)
As-tu renouvelé depuis tes expériences de "marin" ?
Très belle journée !
Ah ces mères! et pourtant on les regrette...
SupprimerJe t'avoue que je n'ai pas poursuivi ma carrière de marin, car j'ai de petits problèmes articulaires qui me rendent le maniement des cordages difficile.
J'aime, par contre, toujours me retrouver sur l'eau dès que c'est possible!
Bonne journée à toi aussi.
Décidément nos mamans partageaient cette peur de l'eau. Le premier amoureux de ma mère était un pêcheur (Nouveau-Brunswick) et elle a refusé de l'épouser parce qu'elle ne voulait pas vivre près de la mer qu'elle trouvait trop triste et dangereuse. Peut-être aussi qu'elle avait d'autres raisons qui lui appartiennent.
RépondreSupprimerMarie-Thérèse tu étais vraiment "tout un numéro" et une vraie casse-cou, ta maman a toute ma sympathie, qu'elle repose en paix.
Bonne journée.
Linda
Tu te souviens de la chanson «Partons la mer est belle» et d'un des couplets qui dit : «Ainsi chantait mon père, lorsqu'il quitta le port, il ne s'attendait guère à y trouver la mort...» ta maman avait peut-être raison de craindre...
SupprimerQuant au numéro... bon, j'étais une petite fille «active». C'est André qui était toujours plein de mauvais plans, évidemment ;0)
P.S. Marie-Thérèse, c'est joli, mais moi, c'est plutôt Marie-Josée, Yvonne-Renée-Claude.
Marie-Josée, désolée de t'avoir rebaptisée. À l'avenir je devrais m'en rappeler.
SupprimerOui je me rappelle de cette chanson.
Bonne fin de journée.
Linda
Linda
Sans rancune!!!
Supprimerà bientôt
Mais alors, à quoi ressemblent les crapets-soleil ??? dis-moi, tu étais une sacrée coquine tout de même !! Tu sais que tu peux envoyer ces souvenirs à Giulio, en français ou en italien... enfin les deux premiers car le 3ème, tu es trop grande !!!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la sensation de peur en voyant le gros nuage, l'ombre formée par ta maman...
Je t'ai mis une illustration de deux poissons du Québec qu'on retrouvait dans la Rivière-des-Prairies.
SupprimerPour Giulio, j'ai encore un autre souvenir... je ferai cela plus tard aujourd'hui...
Ma maman, institutrice de son état comme je l'ai déjà expliqué, était une maîtresse-femme. Imposante pour la toute petite fille que j'étais. Malheureusement pour elle, j'avais aussi, très tôt, le goût de la délinquance, souvent engendré d'ailleurs, par une autorité trop présente.
Merci pour les poissons, je vois mieux à quoi ressemblent ces bestioles au nom charmant !!!
SupprimerAllons Marie-Josée, elle te terrorisait ta maman, avoue !! Et tu n'avais qu'une envie c'était de faire "la grande" et c'était si bon de faire les 400 coups avec André !!! voyouse (le mot n'existe pas, mais ma propre maman aimait en user à mon endroit !!)...
You bet!!!
SupprimerJ'aime ta photo du port du Montréal : des lignes intéressantes, les yeux « voyagent » en regardant cette image! Ensuite, c'est surtout le titre qui m'a fait rire (plus que le texte) : « Exploit montrable » ! ( qu'étaient donc les autres exploits ? )
RépondreSupprimerJe suis originaire d'Abitibi, région de lacs et de forêts; nous avions un petit bateau à moteur sur lequel mon père avait écrit le prénom de mon frère (Claude), le mien étant affiché sur la porte du petit chalet. Ma mère n'aimait pas l'eau, mon père, oui. C'est donc avec lui et avec mon frère que j'ai appris à nager, à conduire le bateau sans peur et sans reproche, à faire des ronds dans l'eau avec des roches plates. Ma mère n'a jamais montré d'inquiétude dans mes rapports avec l'eau! Une vraie chance pour la suite de ma vie maritime.
J'avoue que je n'ai pas été traumatisée outre mesure : j'aime toujours autant l'eau... La pêche est, pour moi, dans la même catégorie que le golf : trop pépère pour mon goût!!!
SupprimerJ'ai beaucoup ri à la lecture de vos aventures: vous avez un véritable don de narratrice. Merci, Marie-Josée, et bonne soirée!
RépondreSupprimerJ'avoue que je m'amuse beaucoup à raconter ces mésaventures qui ont de plus l'insigne mérite de redonner vie à ma maman pour un petit moment...
SupprimerBonne journée à vous!
C'est si bien raconté que je vous ai vu debout sur la coque retournée et j'ai aperçu aussi votre mère gesticulant derrière son télescope :)
RépondreSupprimerLes crapets-soleil, chez nous on les appelle cuillère-à-soupe (vu leur forme) ou perche-soleil. Et ici, votre perchaude est tout simplement une perche (ni chaude, ni froide). C'est une femme de pêcheur à la ligne qui vous le dit :))
Bonne journée, Marie-Josée
Je pensais que mes petits poissons étaient typically québécois. Bon... pas grave!
SupprimerTant mieux si je vous ai fait sourire, mais j'ai à peine forcé le trait.
Bonne fin de semaine
P.S. J'ai commencé votre Salaambô... il y a à boire et à manger autant que dans le roman dont je n'ai lu que des extraits, je m'en confesse. Je vous reviens plus tard!
Coucou Marie-Josée,
RépondreSupprimerJ'ai adoré ta manière de conter ces épisodes, c'est vif et enlevé, tu as beaucop de talent ! Grande découverte pour moi : le crapet soleil ! J'ignorais totalement l'existence de ce poisson.
A suivre... Ah si si ! Tes aventues d'enfance sont très drôles !
Bisous Marie-Josée (j'espère que tu vas mieux)
Nath.
Bonjour Nathanaëlle,
SupprimerIl faut que j'aille mieux, car je dois retourner en classe mercredi!!! De toute manière, l'automne est ma saison préférée, et j'ai bien l'intention d'en profiter.
J'ai encore quelques petites aventures en réserve... pour les jours de pluie à venir!
Très bonne fin de semaine et à bientôt!