Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






samedi 22 janvier 2011

Cixous et le Cambodge

Un petit ajout pour Danielle : pour pousuivre ton voyage par les lectures, sais-tu que Cixous a écrit une oeuvre pour le Théâtre du Soleil qui s'intitule : L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk roi du Cambodge? Je n'ai pas vu la pièce, mais j'avais été très intéressée par cette oeuvre mettant en scène une période de l'histoire contemporaine, compte tenu de ma première expérience d'enseignement avec les Boat people.

Une autre lecture pour ta liste!

Cixous et la Cartoucherie

http://www.franceculture.com/emission-je-l-entends-comme-je-l-aime-helene-cixous-2011-01-16.html

Une  note rapide pour les chanceux qui habitent en région parisienne : le lien ci-dessus renvoie à l'émission Je l'entends comme je l'aime où était invitée, le 17 janvier dernier, Hélène Cixous.  Jean-Jacques Lemêtre, le grand maître d'oeuvre, justement, de la musique du Théâtre du Soleil, l'accompagnait.

Entre autres choses, Cixous nous a appris qu'elle travaille à une oeuvre nouvelle pour la Cartoucherie.

Le Théâtre du Soleil est venu à deux reprises à Montréal pour présenter le cycle de l'Orestie, puis Tambours sur la dune.  J'espère avoir un jour l'occasion de le voir in situ.

Bonne fin de semaine

dimanche 16 janvier 2011

Gabrielle Roy : Rue Deschambault

Gabrielle Roy
gros plan de la photo que je possède





La figure tutélaire de Gabrielle Roy domine ma chambre-bibliothèque depuis plusieurs décennies déjà.   J'aime ce visage buriné de vieille indienne au regard attentif.  Mais ce que la photo en noir et blanc ne dit pas, c'est le bleu soutenu de la prunelle faisant contraste avec la peau tannée, ce bleu qui m'a tant surprise lorsque j'ai aperçu la romancière pour la première fois, assise derrière l'une des baies vitrées du chalet où elle passait ses étés à Petite-Rivière-Saint-François, au bord du St-Laurent.

C'était en 1978, cinq ans avant sa mort...









J'avais découvert Gabrielle Roy un peu plus tôt, à travers la lecture de Rue Deschambault, premier récit de l'oeuvre à mettre en scène la petite Christine et les membres de sa famille présentant plusieurs similitudes avec ceux de l'écrivain.

La littérature québécoise s'est annexé Gabrielle Roy avec une certaine légitimité : née de parents qui avaient toujours des accointances avec le Québec, elle choisira elle-même de vivre toute sa vie d'adulte dans les deux plus importantes villes de cette province, Montréal et Québec, plutôt que de retourner vers son Manitoba natal au retour de son périple européen.

La région de l'enfance a pourtant une place significative dans l'oeuvre  et pèse de tout son poids dans les trois récits à caractère autobiographique qui précèdent la véritable autobiographie demeurée inachevée en raison du décès de l'auteur en 1983 : La Détresse et l'enchantement.  Rue Deschambault est donc le premier de ces récits manitobains.




Agrandissement d'une photo de John Reeves



Rue Deschambault a en commun avec Combray ou La Maison de Claudine la représentation nostalgique du monde de l'enfance où règne une figure maternelle bienveillante.

Bien sûr, le père n'est pas absent; peut-être a-t-il même une place plus importante que chez Proust ou Colette.  Il ouvre le récit vers un autre monde puisqu'il est, comme le père réel l'était, agent de colonisation installant les immigrants souvent venus de l'Europe de l'est, Doukhobors, Mennonites, Petits-Ruthènes, dans ces vastes prairies du centre du Canada qu'il fallait peupler. L'un des textes les plus forts du récit,  du point de vue dramatique, met en scène ce père qui, au milieu de l'incendie d'un village qu'il a contribué à établir, réussit à survivre en se laissant glisser au fond du puits alors que tout s'embrase à l'extérieur, même sa jument qui n'a pas voulu le laisser.  La lecture du «puits de Dunrea» avait tenu en haleine mes élèves, pourtant follichonnes, devant un autre feu : celui d'une classe de neige dans les Cantons de l'est.  Moment privilégié, trop rare dans l'enseignement, d'une lecture partagée...



Version Beauchemin



Version Boréal

     Mais la narratrice, dernière née de la famille, est surtout l'enfant chérie de la mère qui l'amènera d'ailleurs dans l'équipée qui la conduit au Québec à l'insu de son mari et qui fournit le motif de l'illustration de ma vieille édition remplacée depuis par une édition de poche, version définitive revue par l'auteur.


Le personnage de la mère reviendra d'ailleurs dans La Route d'Altamont et son importance sera confirmée dans le seul tome paru de l'autobiographie.

Cette mère a entre autres insufflé à ses enfants le goût de partir  pour se désoler ensuite qu'ils suivent trop bien son incitation et se mettent à courir le vaste monde en la délaissant.