Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






mercredi 4 janvier 2012

La librairie francophone à Montréal

Vous avez envie de déambuler virtuellement pendant une petite heure dans les rues de Montréal sans risquer de vous geler le bout du nez ou de vous étaler sur l'un des trottoirs verglacés?  Allez faire un tour du côté de la librairie francophone d'Emmanuel Kherad.

L'an dernier, en guise de cadeau du nouvel an, La librairie francophone nous avait offert une rare entrevue avec l'écrivain belge Henry Bauchau qui, à 97 ans, venait de publier un nouveau roman, Déluge.  Cette année, Emmanuel Kherad a transporté son équipe sur le Plateau Mont-Royal pour donner la parole à trois écrivains : le poète Claude Beausoleil, le romancier Dany Laferrière et le poète et psychanalyste, Joël Des rosiers.  Les deux derniers écrivains sont originaires d'Haïti...

Claude Beausoleil parlera, entre autres, d'une préoccupation bien québécoise dont vous avez eu quelques échos dans ce blog : la sempiternelle inquiétude devant le temps qu'il fait ou qu'il fera.  Il faut dire que si nos ancêtres gaulois s'étaient installés à quelques centaines de kilomètres plus au sud, nos sujets de conversation seraient peut-être plus variés ;0)

Mais ce sont probablement les propos de Dany Laferrière qui m'ont le plus rejointe, car ils reprenaient en substance mes souhaits pour la nouvelle année : ce désir de temps ne serait-ce que pour le plaisir de le perdre, le soustrayant  ainsi à l'économique diktat qui veut que le temps soit de l'argent.

Joël Des rosiers est l'écrivain que je connais le moins parmi les trois.  Je vous laisse donc découvrir les lieux assez singuliers où il a choisi d'inviter La librairie francophone. 

Bonne écoute et prêtez bien l'oreille, car vous entendrez la multiplicité chantante des accents qui animent les rues de notre ville!

mardi 3 janvier 2012

J’ai vu Tintin!!! (1)

Publicité de Casterman pour la publication de l'album du film

En guise de prémisse

Mettons tout d'abord cartes sur table : je suis une Tintinophile finie depuis plus de quarante-cinq ans maintenant, c'est-à-dire que j'ai eu mes premiers albums de Tintin avant même de savoir lire et que je côtoie quotidiennement depuis l'univers de Georges Rémi.  Je peux donc dire, à l'instar d'un des biographes d'Hergé, Benoît Peeters, que «mon intérêt pour Tintin est presque aussi vieux que moi.» (Hergé fils de Tintin, Coll. Champs, Flammarion, p. 11)

Cependant, jusqu'à mardi dernier, mon amour était essentiellement livresque : je n'avais jamais vraiment accroché aux adaptations télévisuelles ou cinématographiques, qu'elles aient été réalisées avec des comédiens ou sous forme de dessins animés. J'attendais donc Spielberg de pied ferme. Et le mardi 3 janvier, je suis tombée sous le charme.  J'étais assise au milieu d'une rangée de petits garçons de six ou sept ans qui disparaissaient derrière leurs lunettes noires et leur immense «popcorn» et, si j'excepte le maïs soufflé inondé de beurre, je «cadrais tout à fait dans le portrait», poussant des «oh!» et des «ah!» autant sinon plus que mes petits voisins.  Avec un peu de recul, je peux maintenant mieux saisir ce qui m'a tellement émerveillée dans ce film qui demeure toutefois très différent du rendu des albums d'Hergé tout en en respectant parfaitement, à mon avis, l'esprit.

Des cinéastes respectueux

Steven Spielberg et son acolyte néo-zélandais, Peter Jackson, se sont en effet approprié la «substantifique moelle» de l'oeuvre pour la refondre dans leur propre creuset et, surtout, selon les façons de faire de notre époque.
L'écoute des suppléments qui agrémenteront très certainement le DVD à venir répondra peut-être à certaines de mes questions.  Par exemple, comment le travail s'est-il réparti entre les deux compères? Car il faut bien comprendre qu'une oeuvre comme Les Aventures de Tintin en 3D constitue une entreprise de longue haleine qui s'étale sur plusieurs années et qui implique de nombreux intervenants qui sont en interaction constante et qui ont un effet les uns sur les autres. La vision de Spielberg, fasciné par sa découverte tardive de Tintin en 1982, s'est incarnée à travers les instruments favoris de Jackson qui a requis les services de l'équipe de
WETA Digital, compagnie avec laquelle il avait déjà travaillé pour la trilogie du Seigneur des anneaux, puisque ce sont les informaticiens/dessinateurs de WETA qui ont animé le personnage de Gollum en utilisant la même technologie que celle qui est utilisée pour Les Aventures de Tintin.   
 
Pour revenir à la question du respect de l'oeuvre, je pense à deux choses : d'une part, l'attention particulière accordée à l'élaboration des personnages et, d'autre part,  la reprise de séquences entières empruntées aux trois albums qui ont été utilisés pour l'élaboration de ce premier film soit Le crabe aux pinces d'or, Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le rouge. 





Les personnages

Tintin, Milou et le capitaine Haddock sont les trois personnages principaux de l'oeuvre d'Hergé et c'est donc à eux que l'on a accordé préséance.  Comme les amoureux de la Commedia dell'arte qui ne portent pas de masque, car les artisans qui les fabriquaient prétendaient qu'il n'était pas possible de représenter le sentiment amoureux, Tintin est le seul des personnages que l'on pourrait croiser dans la rue sans être surpris de son apparence.  Dans le système des personnages d'Hergé, il est aussi assez singulier puisque son faciès tout rond qui s'est petit à petite ovalisé tout au long de son histoire, ne présente pas le même nez que ceux des autres personnages masculins.  Dans le film de Spielberg, et c'est une de mes petites réserves, tous les personnages à l'exception, donc, de Tintin, affichent une certaine disproportion du corps par rapport à la tête qui lorgne du côté de la caricature.  Même le capitaine Haddock. Ce n'est pourtant pas le cas dans les albums.  Par contre, les actions et comportements des personnages et ce que nous savons de leur «psychologie» même s'il est un peu abusif d'utiliser ce terme dans le cadre des oeuvres d'Hergé, sont parfaitement respectés par Spielberg.  

Les séquences narratives

Quant aux séquences narratives qui composent les trois albums déjà mentionnés, elles ont été conservées en grande partie, mais remontées dans un autre ordre que celui que l'on retrouve en lisant d'affilée les bandes dessinées.  Ainsi a-t-on débuté par les premières planches de la Licorne, mais il a fallu introduire, un peu plus tard, plusieurs épisodes empruntés à l'album du Crabe aux pinces d'or pour pouvoir raconter comment le capitaine Haddock et Tintin en sont venus à se rencontrer.

Rares donc sont les séquences créées de toutes pièces.  C'est malheureusement le cas de l'affrontement presque final qui s'éternise entre le capitaine Haddock et le «bad guy» de service que l'on a développé à partir d'un des personnages secondaires du Secret de la Licorne.  On sent ici un peu de la complaisance qui animait déjà l'équipe productrice des effets spéciaux des grandes batailles du Seigneur des anneaux.  Je ne développe pas plus pour le moment, espérant que mon billet vous incitera à aller voir le film si ce n'est déjà fait. La présence de ce méchant de service a permis d'accentuer le côté manichéen souvent présent dans les films à l'américaine. Dans l'album, les ennemis de Tintin qui cherchaient à s'emparer des parchemins permettant de connaître la route qui les conduirait au trésor n'apparaissent qu'à la toute fin même s'ils se manifestent par leurs agissements, comme l'assassinat de l'homme au complet bleu venu avertir le héros du danger inhérent à sa quête.


Un second billet portera sur ce qui éloigne le film des albums, ce qui me permettra d'introduire quelques remarques sur les particularités du dessin d'Hergé dont il ne faut pas oublier qu'il s'est éteint en 1983, il y a donc presque trente ans maintenant.