Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






jeudi 4 août 2011

Lignes de faille


L'œuvre de Nancy Huston se déploie depuis trois décennies déjà. En 1993, la parution de Cantique des plaines et les remous ayant entouré la remise du prix du Gouverneur général ont contribué à faire connaître l'auteur au Québec. Nancy Huston a en effet la particularité d'être une Canadienne anglaise de l'Alberta ayant choisi d'écrire en français depuis sa migration en France au début des années soixante-dix. N'étant pas sa langue maternelle, le français lui apparaissait en effet comme dénuée de tabous en plus d'échapper au regard parental.


Huston a donc poursuivi son parcours en français jusqu'à ce Cantique, intitulé Plain Song en anglais, qui lui est venu qui luil est venu dans cette langue, car il se déroulait dans les plaines de l'ouest de son enfance et elle «entendait» donc les voix de ses personnages en anglais. Or, le prix du Gouverneur général lui a été attribué pour la meilleure œuvre en français, et cela a créé une polémique lancée par les éditeurs québécois qui auraient préféré que la récompense reconnaisse une oeuvre écrite directement en français. Comme Nancy Huston l'a rapporté à Stéphane Bureau dans un numéro de l'émission Contact en 1994, alors qu'elle se voyait naïvement comme un trait d'union entre ces deux solitudes qui caractérisent les vies parallèles des deux peuples fondateurs du Canada, elle est au contraire devenue une nouvelle pomme de discorde.

 

Gabrielle Roy en 1945

Le chemin parcouru depuis a été marqué par la publication de plusieurs romans et essais. Le prix Fémina, décerné en 2006 pour le roman Lignes de faille est toutefois venu réinscrire l'auteur dans l'histoire littéraire québécoise, Nancy Huston devenant alors la seconde Canadienne à remporter ce prix. Gabrielle Roy avait été la première, en 1947, pour le roman Bonheur d'occasion qui marquait de belle façon le passage de la journaliste à la carrière de romancière. Mais là s'arrête la comparaison. Bien que publié en 1945, Bonheur d'occasion est un grand roman réaliste du dix-neuvième siècle par sa forme très classique : situation spatio-temporelle précise, narration à la troisième personne, personnages bien campés. La modernité de l'œuvre, au moment de sa publication, tenait au cadre choisi, la ville, alors que la ruralité avait dominé les œuvres antérieures de la littérature canadienne-française.

 

Lignes de faille, au contraire, est un livre qui illustre parfaitement toutes les caractéristiques de la narration moderne. L'ouvrage est en effet subdivisé en quatre grandes sections qui correspondent à quatre moments précis dans le temps et à quatre narrateurs différents. Ces narrateurs sont liés par le sang et par l'âge, car ils racontent tous ce qui s'est passé dans leur vie alors qu'ils avaient six ans. Huston a, de plus, situé l'histoire de la sixième année de ces enfants à des moments-clés de l'histoire contemporaine : Solomon, Sol, a six ans en 2004 alors que se déroule la seconde guerre des Américains contre l'Irak; Randall, père de Sol, est âgé de six ans en 1982; il fréquente une école juive en Israël à Haïfa et se lie d'amitié avec une jeune Palestinienne qui lui tournera le dos à la suite du massacre perpétré par les phalangistes dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila au Liban; Sadie, mère de Randall et grand-mère paraplégique de Sol, est une petite fille élevée par ses grands-parents maternels pendant que sa mère poursuit une carrière de chanteuse en 1962 alors que naît le groupe des Beatles et que le président Kennedy est à deux doigts de déclarer la guerre à l'URSS dans la foulée de l'histoire de la baie des cochons. Kristina, enfin, voit sa sixième année bouleversée par l'arrivée dans sa famille allemande d'un jeune garçon qui lui révèlera sa véritable identité. Nous sommes à Dresde à la fin de la Seconde Guerre mondiale.  Cette chronologie inversée est une autre des particularités de Lignes de faille. Le secret qui sera révélé en fin de parcours oblige presque le lecteur à une seconde lecture puisque plusieurs éléments en apparence anodins des autres récits prennent un sens nouveau éclairé par l'histoire de Kristina.

Le style de Nancy Huston n'est pas, comme c'est le cas de Marguerite Duras par exemple, une voix reconnaissable entre toutes.  C'est d'autant plus vrai dans Lignes de faille qu'elle se coule dans la prose de chacun des enfants de six ans vivant à des époques différentes, depuis l'enfant-roi contemporain, Sol, jusqu'à son arrière-grand-mère dont l'enfance se déroule sous les bombes qui tombent sur le Troisième Reich.  L'intérêt de cette oeuvre réside donc dans ce qu'elle raconte, dans le ce que l'on découvre à la fin qui est un phénomène peu connu de l'histoire de l'Allemagne nazie.  Il me semble toutefois peu pertinent de l'évoquer ici, car c'est cet aimant qui oriente la lecture.  L'adaptation du roman de Bernard Schlink, Le Lecteur, a été beaucoup critiquée en Europe au moment de sa sortie à cause de la compassion qu'elle suscitait pour une ancienne garde de camp nazie.  Pour ma part, j'avais lu le livre peu de temps après sa parution, ce dont j'étais heureuse, car l'effet magistral des révélations de la troisième partie a porté beaucoup plus que pour les simples spectateurs du film puisque la bande-annonce avait bêtement défloré l'oeuvre... Je ne réserverai donc pas ce même sort au roman de Nancy Huston.

dimanche 31 juillet 2011

Ma bibliothèque

Plus qu'un petit mois de vacances! Je sais, je sais : la plupart des gens n'ont que deux minuscules semaines de vacances, et je fais donc partie de l'infime minorité qui peut se prévaloir de plusieurs semaines, j'ose à peine dire plusieurs mois de vacances par an.  Je rétorque toujours à cela qu'il ne faut pas envier les enseignants dont je fais partie pour cet avantage de leur profession, mais plutôt s'engager dans une lutte qui permettra à tous de bénéficier de congés plus substantiels dans leur profession respective.

Notons par ailleurs que ces longues vacances sont tout à fait bienvenues pour faire quelques lectures qui, durant l'année scolaire, sont toujours reléguées au second plan, le déchiffrage de copies toutes plus affriolantes les unes que les autres ( ! ) occupant l'essentiel de la pratique d'un professeur de littérature qui, paradoxe aidant, en vient à ne plus lire autre chose que les oeuvres dont il doit parler en classe.

Ces douces vacances, donc, m'ont amenée à faire une découverte dont j'aimerais vous entretenir : un petit logiciel en ligne qui permet de dresser un inventaire de vos découvertes ou possessions livresques  et qui se nomme «My library thing».  Oui, je sais, le titre est dans la langue de Shakespeare et, qui plus est, les utilisateurs sont en grande partie anglo-saxons.  Il serait peut-être donc intéressant que certains, parmi vous, transmettent cette adresse à quelques locuteurs francophones de manière à ce qu'on perde cette impression qu'il n'y a de grands lecteurs qu'anglais ou américains...

Je sais encore, je sais beaucoup de choses aujourd'hui, qu'il vaut mieux ne pas trop se disperser entre diverses plateformes, mais j'avoue que j'ai vu dans cette base de données commentée plusieurs avantages, entre autres, celui de pouvoir y renvoyer ceux et celles qui me demandent des conseils de lecture.  Je vais donc tenter de nourrir régulièrement «My Library» avec l'espoir d'y voir un jour inscrits les quelques milliers de livres que je possède et que j'ai lus au fil des décennies... malgré les copies!

Bonne lecture!
http://www.librarything.fr/home/mjdion