Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






vendredi 31 mai 2013

Photo de la semaine (53) : Sainte Carmen de la Main



Il y a quelque temps, je vous ai parlé de Belles-sœurs de Michel Tremblay, adaptation musicale de la pièce éponyme alors présentée à Paris.

En 1968, avec Les Belles-sœurs, Tremblay inaugurait la dramaturgie québécoise moderne tout en s'inscrivant dans le mouvement politique et culturel de revendication d'une identité qui soit nôtre, mouvement qui aboutit à la première élection du Parti Québécois en 1976, date où fut créée cette autre pièce qu'est Sainte Carmen de la Main avec laquelle le duo Cyr-Bélanger récidive, en présentant une nouvelle adaptation sous forme de comédie musicale.


J'étais trop jeune pour voir Les Belles-sœurs à la création et j'ai donc assisté à une représentation de cette oeuvre en 1993 alors qu'elle était passée, en vingt-cinq ans, de pièce conspuée par presque toute la critique de l'époque au statut de classique présenté devant des parterres d'étudiants qui l'avaient peut-être eux-mêmes interprété à l'école...


La réception initiale de la toute première pièce de Tremblay avait été négative tout particulièrement parce que ses personnages, ces femmes du désormais branché Plateau Mont-Royal qui n'était à l'époque qu'un quartier ouvrier de l'est de la ville, parlaient joual, ce mélange de termes déformées par l'élision de certaines syllabes et la présence de termes empruntés à l'anglais ou francisés à la manière de Queneau dans Zazie.  C'était pourtant la langue que parlait une partie de la population avant la promulgation de la loi 101 en 1977, loi qui obligea, entre autres, l’affichage unilingue français alors que tous les petits Canadiens-français de ma génération et des générations antérieures n'avaient jamais vu autre chose que Pont/Bridge lorsque les panneaux n’étaient pas carrément uniquement en anglais.


Quoiqu'à nouveau menacé surtout dans le grand centre urbain mutli-ethnique qu'est Montréal, l'état du français s'est quelque peu amélioré en quatre décennies, et peut-être que le joual parlé par les personnages de Sainte Carmen de la Main est l'aspect  qui date le plus dans la pièce et celui qui m'a le plus dérangée dès le départ dans les premières diphtongues très appuyées du «À matin, in... le soleil s'est levé au coin de la Main pis d'la Catherine».


Petite précision pour les gens qui ne sont pas d'ici : la Main, c'est la «Main Street», celle qui divise Montréal, le boulevard Saint-Laurent. Il y a donc les numéros civiques à l'est de Saint-Laurent et ceux qui repartent en sens inverse à l'ouest. L'est était le royaume des Canadiens-français, ouvriers et gagne-petit alors que «l'ouest, ma chère» comme disait ma mère était le fief des anglos, généralement patrons et riches.  Je vous retrouverai un jour le passage d'un des romans de Tremblay qui raconte comment les ménagères de l'est ne s'aventuraient que rarement au-delà du magasin Eaton qui était déjà considéré comme appartenant à l'ouest.  Que dire donc d'Ogilvy's!!!

Dans l'oeuvre de Tremblay, la Main, c'est aussi et surtout le lieu des clubs de travestis et du monde interlope, celui des red light aussi. Et Carmen chante dans l'un des clubs des chansons western.

Je ne vous raconterai pas la pièce; je n'aime pas me faire raconter les œuvres. Si elles me semblent intéressantes, je les lis.  Je vous dirai simplement que je suis restée «une patte en l'air» devant cette pièce que je voyais pour la seconde fois. Il y a en effet un mélange d'éléments intemporels comme ceux qui sont empruntés à la tragédie grecque : la présence des chœurs  le destin tragique de la protagoniste, les récits sur scène de moments clés de l'action qui se déroulent, eux, en coulisses, comme dans le théâtre de Racine et un certain nombre de choses qui m'apparaissent comme datées comme l'usage du joual déjà évoqué et la représentation du monde des travestis et des homosexuels hantant la Main qui, au Québec à tout le moins, n'est plus une réalité aussi marginalisée me semble-t-il. 

Je ne sais pas si cette pièce partira en tournée. À défaut de voir le théâtre de Tremblay, vous pouvez cependant vous rabattre sur ses romans, Les Chroniques du Plateau Mont-Royal, par exemple, qui entretiennent avec son théâtre un lien particulier puisqu'il a donné, dans ses textes narratifs, un passé et une histoire aux personnages apparus tout d'abord dans son oeuvre dramatique. Le «continent Tremblay» est donc un monde à explorer pour qui veut connaître le passé d'une partie importante de la population québécoise du temps où elle était encore canadienne-française et où elle se promenait dans le parce Lafontaine,dont j'arrive, mais je ne vous parlerai pas du Festival de BD de Montréal qui s'y tenait cet après-midi, car l'humidité et la chaleur d'aujourd'hui m'ont fait fondre avant que je n'arrive au chapiteau où se tenaient les activités...Too bad!



C'est ma participation un peu longuette, cette semaine, à la photo de la semaine d'Amartia.