Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






vendredi 3 mai 2013

Photo de la semaine (49) : le petit vert de Nathanaëlle...



Les grandes mers de mai avaient fait monter l'eau de nouveau.  À mesure qu'il avançait, le Survenant s'étonna devant le paysage différent de celui qu'il avait aperçu l'automne passé. [...] Au lieu de géants repus, altiers, infaillibles, il vit des arbres penchés, avides, impatients, aux branches arrondies, tels de grands bras accueillants pour attendre le vent, le soleil, la pluie : les uns si ardents qu'ils confondaient d'une île à l'autre leurs jeunes feuilles à la cime jusqu'à former une arche de verdure au-dessus de la rivière, tandis qu'ils baignaient à l'eau claire la blessure de leur tronc mis à vif par la glace de débâcle; d'autres si remplis de sève qu'ils écartaient leur tendre ramure pour partager leur richesse avec les pousses rabougries où les bourgeons chétifs s'entrouvraient avec peine.

Germaine Guèvremont, Le Survenant,   1945

Point n'est besoin de rappeler pourquoi 1945 est une date importante pour le monde occidental.

Dans le champ plus restreint de la littérature québécoise, cette année a aussi une résonance toute particulière : alors que Gabrielle Roy publie Bonheur d'occasion, premier texte où la ville supplante la campagne, Germaine Guèvremont crée, avec Le Survenant, le dernier et le plus beau des romans du terroir.  Le personnage éponyme relève de l'archétype de l'étranger bouleversant l'existence jusque-là paisible d'une petite communauté, ici, celle du Chenal du Moine, dans la région de Sorel.  Venant , comme le père Didace se plaît à l'appeler, représente aussi l'un des deux pôles du couple antagoniste mis en scène dans plusieurs ouvrages de notre littérature : le nomade, grand dieu des routes, qui méprise un peu ces sédentaires attachés à leurs «terres de petite grandeur, plates et cordées comme des mouchoirs de poche.»

Pour qui aimerait connaître un peu mieux la littérature du Québec, Le Survenant est un incontournable, et la richesse de la langue métaphorique de Guèvremont, mérite certainement le petit effort qu'il faut pour comprendre toutes les subtilités d'un texte qui tente de reproduire le parler des habitants du début du siècle, ce terme désignant dans le roman, les cultivateurs...



Voilà pour ma participation d'un vert encore acidulé à la photographie de la semaine d'Amartia...