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Jean Anouilh |
Mais le dictionnaire ne dit pas toujours tout et lorsque j'essaie de préciser ce que l'usage met dans le mot «orgueil» et ce que j'y ajoute, il me semble que la définition du dico me serait de peu d'utilité...
Peut-être le mot «orgueil» a-t-il mauvaise presse dans notre Occident à cause du péché d'orgueil longtemps considéré comme l'un des sept péchés capitaux et pourtant...
Lorsque Créon fustige l'Antigone d'Anouilh en la traitant d'orgueilleuse, retrouvant en elle l'orgueil de son père, Oedipe, il est certain qu'il ne lui fait pas un compliment. Pour ma part, j'avoue un petit faible pour cette orgueilleuse d'Antigone même si, l'âge aidant, j'évolue petit à petit pour reconnaître que la définition du bonheur de Créon est tout de même plus reposante...
Alceste fait-il preuve d'orgueil lorsqu'il dit à Philinte :
Je voudrais, m'en coutât-il grand'chose,
Pour la beauté du fait avoir perdu ma cause.
Est-ce orgueil, fierté, superbe ou simple entêtement voisinant l'infantilisme de sa part? Cela dépend de la lecture et Dieu seul sait si Le Misanthrope a donné naissance à toutes sortes d'excès. Je suis encore honteuse, connaissant la pièce par coeur depuis fort longtemps, d'avoir été la seule à applaudir à la fin du texte, il y a quelques années, alors que le metteur en scène avait jugé bon de lui ajouter une rallonge montrant Alceste errant dans une sorte d'antichambre de palais, ce qui était censé signifier que l'homme aux rubans verts était en proie à un accès de folie!
Mais laissons Molière pour revenir à Anouilh, car il est la cause de cette réflexion autour de l'orgueil.
Tout le monde connaît l'Antigone évoquée plus haut, car c'est l'une des rares pièces que la tradition scolaire a retenue de l'oeuvre abondante du dramaturge. Il est vrai, pour avoir lu plusieurs autres pièces, que l'affrontement de Créon et de sa nièce a une dimension qu'on ne retrouve pas ailleurs. Je parcours toutefois en ce moment un recueil de fables qu'Anouilh avoue sans prétention et qui sont, de son aveu même, «le plaisir d'un été». Certaines fables sont originales, mais d'autres sont des réécritures à la manière de ses adaptations de Sophocle par exemple. L'une d'elles m'a particulièrement retenue à cause de sa chute. Jugez-en plutôt :
Le chêne et le roseau
Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »
Le vent se lève sur ces mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé
- Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant.)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? »
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : « Je suis encore un chêne ».
Quoique qualifié d'orgueilleux, ce chêne ne vous est-il pas immensément sympathique? Le mot est trop familier; je dirais plutôt qu'il suscite l'admiration par cette fierté qu'il conserve malgré ses déboires et l'approche de la mort.
Qu'en pensez-vous?