Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






vendredi 8 février 2013

Photo de la semaine (42) : comme Honey!



Je veux  hiberner comme Honey!

J'aurais pu vous mettre une xième photo de tempête de neige, car c'est ce que j'ai dans mes fenêtres en ce moment, mais j'ai eu peur de vous lasser. Imaginez : je vous lasse en vous montrant une image... que feriez-vous si vous deviez affronter le blizzard, le froid et les sempiternelles flocons au quotidien?

J'aimerais bien que l'on m'adopte comme Honey!

Cette photo a été prise peu de temps après son arrivée chez moi. Savait-elle qu'elle venait de gagner le «jack pot»? En tout cas, elle était moins exigeante que moi.  Pour ma part, je pose comme condition que «l'adopteur» potentiel habite le sud de la France ou l'Italie, quelque part aux alentours de Florence que je préfère, pour ma part, à Venise.

Quoi? Personne ne veut de moi? Je pourrais faire comme l'un de mes étudiants qui a récemment menacé de se suicider si je ne lui mettais pas les quatre points lui manquant pour obtenir la moyenne.  Comme je ne bronchais pas,  au courriel suivant, il a  subitement abandonné les pensées suicidaires pour évoquer le déshonneur de sa mère. 

Vous êtes aussi imperturbable que moi? alors...

Je vais hiberner comme Honey!

Allez, vous avez bien raison : car, en plus du lieu approprié à mes   os vieillissants, j'exige un portefeuille bien garni, car : JE NE VEUX PLUS ENSEIGNER!

- Marre des 58 fautes en 4 pages!

- Marre de l'élève qui me convoque à mon propre bureau, car MONSIEUR n'est pas satisfait de son 16/20 et veut contre-vérifier ma correction! M'a-t-on vraiment, mais vraiment bien regardée?

- Marre de la paranoïa galopante qui  propulse cette élève, à qui j'ai dit que je n'aimais pas Labiche,  chez mon responsable de département pour dire que je vais la couler à son oral!

Bon. Calmons-nous. Je crois en effet que j'empiète un peu sur les règles récemment mises en évidence par Michelaise au sujet des blogs :

«[...] bien vite, on [doit revenir] à un propos calibré qui respecte l'éthique implicite des blogs : pas de politique, pas de religion, le moins possible d'avis polémiques, une certaine discrétion, pas de méchanceté non plus ou de critiques qui pourraient être mal prises : après tout, on n'est pas là pour faire de la peine et comme ça reste sur la toile, on comprend bien vite qu'il vaut mieux garder pour soi les propos trop virulents.»

Dis, Michelaise, si j'ajoute un peu d'humour, tu me permets de m'adonner, même dans mon blog, à ce sport éminemment français : râler?

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Pourquoi je veux hiberner comme Honey...

Je dois par contre avouer que que j'éprouve aujourd'hui, nonobstant le désir que j'en ai, quelque difficulté à verser dans le comique intégral, car ce que j'observe autour de moi, en plus de la tempête de neige, m'effraie un peu.

J'avais sept ans en mai 1968. Est-ce à ce moment-là qu'a pris naissance cette lente, mais inexorable désagrégation de l'image du maître? Je ne sais trop. Je suis en tout cas aux premières loges pour constater sa progression depuis trois décennies que j'enseigne et, paradoxalement, elle semble rejoindre son paroxysme au moment où j'ai pourtant l'impression d'atteindre moi-même un niveau de maîtrise qui vient avec l'âge, l'expérience et le travail, lent et régulier, qui permettent seuls la constitution d'une culture essentielle à l'élaboration de la réflexion personnelle.

Qu'on me comprenne bien : je ne suis pas en train de me «péter les bretelles» pour utiliser une expression un peu triviale.  Je sens simplement une légère métamorphose dans ma façon d'aborder les choses, d'entreprendre la préparation d'un cours. Comme si j'étais arrivée à cet âge où l'on peut commencer à récolter ce que l'on a semé.  Je n'ai pas la prétention d'être originale ou transcendante, certes non! Je peux toutefois  poser un regard, adopter un biais qui est le mien pour présenter les choses.

Suis-je en train de m'écouter parler? Je ne crois pas... L'interrogation est réelle, pressante, car je suis confrontée de plus en plus souvent à ces élèves revendicateurs et suffisants qui n'ont vraiment aucun sens de ce qu'implique ne serait-ce que le code de déontologie de ma profession auquel je ne vois pas beaucoup de manquements autour de moi me semble-t-il...

J'utilise le «je» depuis tantôt, mais je suis loin d'être l'unique cible de ce phénomène.  Cette semaine, j'ai été atterrée par le terme utilisé par l'Association pour une solidarité syndicale étudiante, relayé par les médias : un ultimatum était posé au ministre de l'éducation qui devait absolument inscrire le thème de la gratuité scolaire au programme du Sommet des 25 et 26 février prochains, sans quoi cette association menaçait de se retirer des discussions portant sur l'avenir de l'enseignement supérieur au Québec.  L'arrogance froide du porte-parole m'a impressionnée...

Amalgame simpliste? peut-être... pourtant, je ne peux faire autrement que de voir une racine commune dans le comportement de certains de mes élèves et de ce nouveau porte-parole de l'ASSÉ :  cette attitude qui consiste à penser, qu'à vingt ans à peine, on possède la science infuse et qu'on peut s'ériger en juge de ce qui est correct dans un travail écrit, comme dans le monde de l'éducation.

J'ai, personnellement, une conviction tout autre : à vingt ans, on ne sait rien, et, plus on avance en âge, plus on s'aperçoit qu'il est immensément long d'acquérir un début de compétence et de connaissance dans un domaine restreint du savoir.  Je pense que je le savais déjà plus jeune...

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Je vous le dis : je veux hiberner comme Honey, je veux cultiver mon jardin comme Candide et je veux surtout, surtout, à défaut de pouvoir me retirer dès maintenant, exercer ma profession avec la tranquillité d'esprit qu'engendrerait un minimum de respect pour les compétences acquises au fil des ans.

Est-ce tellement demander?

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P. S. Petit ajout du samedi matin : je lisais le commentaire de Marie-Paule chez Aloïs... Elle y parlait de son devoir de réserve. Nous n'occupons pas exactement les mêmes fonctions, mais, en définitive, elle a probablement raison. J'ajouterai que, dans mon cas, j'ai suffisamment de désagréments à vivre les évènements évoqués plus haut sans en plus en parler...

J'entends donc me consacrer, désormais, à l'étalage (!) de ces connaissances que je prétends avoir acquises!  En souhaitant que vous y preniez plus de plaisir qu'à mes coups de gueule...

Vous retrouverez, chez Amartia, les autres copinautes qui participent à la photo de la semaine...