Il y a quelque temps, je vous ai parlé de Belles-sœurs de Michel Tremblay, adaptation musicale de la pièce éponyme alors présentée à Paris.
En 1968, avec Les Belles-sœurs, Tremblay inaugurait la dramaturgie québécoise moderne tout en s'inscrivant dans le mouvement politique et culturel de revendication d'une identité qui soit nôtre, mouvement qui aboutit à la première élection du Parti Québécois en 1976, date où fut créée cette autre pièce qu'est Sainte Carmen de la Main avec laquelle le duo Cyr-Bélanger récidive, en présentant une nouvelle adaptation sous forme de comédie musicale.
J'étais trop jeune pour voir Les Belles-sœurs à la création et j'ai donc assisté à une représentation de cette oeuvre en 1993 alors qu'elle était passée, en vingt-cinq ans, de pièce conspuée par presque toute la critique de l'époque au statut de classique présenté devant des parterres d'étudiants qui l'avaient peut-être eux-mêmes interprété à l'école...
La réception initiale de la toute première pièce de Tremblay avait été négative tout particulièrement parce que ses personnages, ces femmes du désormais branché Plateau Mont-Royal qui n'était à l'époque qu'un quartier ouvrier de l'est de la ville, parlaient joual, ce mélange de termes déformées par l'élision de certaines syllabes et la présence de termes empruntés à l'anglais ou francisés à la manière de Queneau dans Zazie. C'était pourtant la langue que parlait une partie de la population avant la promulgation de la loi 101 en 1977, loi qui obligea, entre autres, l’affichage unilingue français alors que tous les petits Canadiens-français de ma génération et des générations antérieures n'avaient jamais vu autre chose que Pont/Bridge lorsque les panneaux n’étaient pas carrément uniquement en anglais.
Quoiqu'à nouveau menacé surtout dans le grand centre urbain mutli-ethnique qu'est Montréal, l'état du français s'est quelque peu amélioré en quatre décennies, et peut-être que le joual parlé par les personnages de Sainte Carmen de la Main est l'aspect qui date le plus dans la pièce et celui qui m'a le plus dérangée dès le départ dans les premières diphtongues très appuyées du «À matin, in... le soleil s'est levé au coin de la Main pis d'la Catherine».
Petite précision pour les gens qui ne sont pas d'ici : la Main, c'est la «Main Street», celle qui divise Montréal, le boulevard Saint-Laurent. Il y a donc les numéros civiques à l'est de Saint-Laurent et ceux qui repartent en sens inverse à l'ouest. L'est était le royaume des Canadiens-français, ouvriers et gagne-petit alors que «l'ouest, ma chère» comme disait ma mère était le fief des anglos, généralement patrons et riches. Je vous retrouverai un jour le passage d'un des romans de Tremblay qui raconte comment les ménagères de l'est ne s'aventuraient que rarement au-delà du magasin Eaton qui était déjà considéré comme appartenant à l'ouest. Que dire donc d'Ogilvy's!!!
Dans l'oeuvre de Tremblay, la Main, c'est aussi et surtout le lieu des clubs de travestis et du monde interlope, celui des red light aussi. Et Carmen chante dans l'un des clubs des chansons western.
Je ne vous raconterai pas la pièce; je n'aime pas me faire raconter les œuvres. Si elles me semblent intéressantes, je les lis. Je vous dirai simplement que je suis restée «une patte en l'air» devant cette pièce que je voyais pour la seconde fois. Il y a en effet un mélange d'éléments intemporels comme ceux qui sont empruntés à la tragédie grecque : la présence des chœurs le destin tragique de la protagoniste, les récits sur scène de moments clés de l'action qui se déroulent, eux, en coulisses, comme dans le théâtre de Racine et un certain nombre de choses qui m'apparaissent comme datées comme l'usage du joual déjà évoqué et la représentation du monde des travestis et des homosexuels hantant la Main qui, au Québec à tout le moins, n'est plus une réalité aussi marginalisée me semble-t-il.
Je ne sais pas si cette pièce partira en tournée. À défaut de voir le théâtre de Tremblay, vous pouvez cependant vous rabattre sur ses romans, Les Chroniques du Plateau Mont-Royal, par exemple, qui entretiennent avec son théâtre un lien particulier puisqu'il a donné, dans ses textes narratifs, un passé et une histoire aux personnages apparus tout d'abord dans son oeuvre dramatique. Le «continent Tremblay» est donc un monde à explorer pour qui veut connaître le passé d'une partie importante de la population québécoise du temps où elle était encore canadienne-française et où elle se promenait dans le parce Lafontaine,dont j'arrive, mais je ne vous parlerai pas du Festival de BD de Montréal qui s'y tenait cet après-midi, car l'humidité et la chaleur d'aujourd'hui m'ont fait fondre avant que je n'arrive au chapiteau où se tenaient les activités...Too bad!
C'est ma participation un peu longuette, cette semaine, à la photo de la semaine d'Amartia.
Merci Marie-Josée,
RépondreSupprimerOuiiiiii ! Je me souviens, tu nous avais déjà parlé de Tremblay ! Je découvre l'existence de cette pièce dont la valeur identitaire en fait un classique. Le joual, c'est en quelque sorte la langue Québécoise, non ? Comme nous avons le Breton en Bretagne ou l'Alsacien en Alsace, (je parle de vraies langues pas de patois).
Robert Charlebois avait expliqué le joual il y a quelques années dans une émission sur France-Inter. Son père, qui était marchand de chevaux, ne s'exprimait qu'en Joual. Je suis curieuse, je vais essayer de trouver le résumé de la pièce (comédie musicale ?) sur Google, il va bien me trouver cela le pépère lol
Bisous Marie Josée, je suis ravie de faire ce genre de découverte grâce à toi.
Si tu fais montre d'un peu de patience, je crois que je vais publier un bref billet expliquant ce qu'est le joual, car tu n'es pas la seule à te poser des questions.
SupprimerQuant au résumé, je peux te le faire : Carmen est une chanteuse country (western) travaillant dans un club (entendre un lieu plus ou moins mal famé qui ouvre la porte sur la drogue et la prostitution, apanage obligé de ce monde interlope). Son «boss»,qui est aussi son amant, Maurice, l'a envoyée perfectionner ses «yodles» à Nashville et la pièce débute alors qu'elle rentre à Montréal, au coin de la Main, pis d'la Catherine.
Hormis sa technique, Carmen a développé un goût pour écrire ses propres chansons, chansons qui s'avéreront dangereuses, car elle développe au sein du petit peuple de travestis de la Main un goût d'émancipation qui nuirait au commerce des plaisirs de substitution dont Maurice est le grand pourvoyeur. Son homme de main, Tooth Pick, qui a une «dette d'honneur» à régler avec Carmen s'occupera donc de la chose...
Je te reviens bientôt avec Les insolences du frère Untel, livre qui a lancé la querelle du joual...
Merci Marie-Josée,
SupprimerC'est assez "noir" comme sujet, finalement.
Ah oui, je veux bien que nous explique le joual, qui a des sonorités qui me plaisent mais que je ne comprends pas bien dans le langage parlé. J'adore l'accent Québécois ! Ah quand Céline ou Garou parlent, et chantent, (mais la chanson n'est pas le propos ici), je les adore !
Viens voir sur mon billet, j'ai ajouté des ancolies.
Bisous
Oui, le destin du Québec, avec ses atermoiements pour parvenir à l'indépendance, crée une certaine noirceur chez beaucoup d'artistes. Borduas en est un bon exemple en matière de peinture... Un autre sujet à venir : vivement les vrais vacances sans corrections!!!
Supprimervraies
SupprimerL'affiche est superbe et merci pour la précision quant à la Main. Bonne semaine et peut-être que tu auras le temps de faire un saut au stand de la BD ?
RépondreSupprimerJ'en doute, car le festival se termine en même temps que la vague de chaleur...
SupprimerBonjour Marie-Josée
RépondreSupprimerUne belle affiche et aussi merci pour toutes ces précisions...l'ignorante du nouveau monde sue je suis apprécie cette découverte.
bonne journée avec enfin un peu de chaleur !
Personnellement, je m'accommode mieux des températures plus fraîches...
SupprimerBon dimanche chez vous
Je ne me rappelais pas le terme "joual"... et pourtant , sur tes conseils, j'ai lu un des livres des "Chroniques du plateau de Mont-Royal" et sans doute que le joual y était utilisé. Je crois que le titre du livre était quelque chose comme "La grosse femme d'à côté est enceinte", mais je n'en suis pas certaine. Quelle plaie de ne pas avoir plus de mémoire... Je me rappelle avoir cependant bien aimé l'ambiance de ce roman.
RépondreSupprimerBises à toi Marie-Josée :-)
Comme je le précisais à Nathanaëlle, je reviendrai sur le terme de joual...
SupprimerEn ce qui concerne Les Chroniques du Plateau Mont-Royal, Tremblay a pris le parti d'écrire la trame narrative en français international ne conservant le français parlé au Québec que dans les dialogues.
Bises et à tout bientôt pour la suite
sans doute pour nous, plus facile à lire qu'à entendre... mais de ce côté là pas de souci, si tournée il y a, elle ne viendra pas jusqu'à Meschers ! En tout cas c'est sympa comme billet, et la question, un peu hors susjet que je me pose est à propos de la BD : car tu m'vais donné, en la matière d'excellents tuyaux, puisque tu achètes les BD de la bibli !! As-tu à ce propos lu Quai d'Orsay ? qui a eu le prix de cette année... mais je crains que ce soit un peu trop franco français comme sujet !
RépondreSupprimerÉcoute, en matière de BD comme pour le joual, je te demanderais un peu de patience : lorsque j'aurai terminé mes fastidieuses corrections (je demeure décente et polie comme tu le constates), je veux passer en revue la collection du Cégep pour créer une page consacrée à la BD dans notre catalogue. Cela m’amènera donc à faire quelques lectures ou relectures, car j'aimerais aussi ajouter des commentaires dans la rubrique prévue à cet effet sous le pseudonyme suivant : la courgette masquée!
SupprimerEn ce moment, je n'ai rien de très substantiel à te proposer : je lis les deux premiers tomes d'une bio de Picasso pendant sa période parisienne, mais rien de magistral. On traite beaucoup plus des amours de Picasso que de sa peinture...
Je te reviens donc bientôt
J'ai hâte de lire votre prochain billet sur le joual. Je découvre en ce moment "En pleine terre", de Germaine Guèvremont, que mon libraire a réussi à m'obtenir. J'aime beaucoup le caractère des personnages et, surtout, les descriptions très précises qui plongent le lecteur dans l'ambiance par tous ses sens, les mots qui me semblent rares (une forsure, les plumats, par exemple...). Je suis très agréablement surprise par cette lecture.
RépondreSupprimerBon weekend, Marie-Josée! J'espère que vous pourrez satisfaire votre goût pour la BD.
Germaine Guèvremont a utilisé En pleine terre comme une sorte de pochade pour camper certains des personnages qui reviendront par la suite dans Le Survenant, puis Marie-Didace . Si mes souvenirs sont bons, elle est venue à l'écriture assez tardivement pour subvenir aux besoins de sa famille, car son mari était malade. Née Germaine Grignon, elle a donc répondu à l'appel de son cousin, Pierre-Henri Grignon, pour l'aider dans l'élaboration de la transposition sous forme de feuilleton radiophonique du roman de ce dernier : Un homme et son péché. Il s'agit là d'un autre roman du terroir dont je n'ai pas gardé un souvenir impérissable. Ce sont davantage les adaptations radiophonique, puis télévisuelle qui ont marqué la mémoire collective nous laissant entre autres certaines expressions comme «la porte à Séraphin». Séraphin Poudrier, notre Harpagon, le héros du romand de Grignon, cachait son art dans des sacs d'avoine conservés dans le «haut-côté», petite pièce dont la porte grinçait...Notre littérature a ses classiques malgré son caractère plus récent que la littérature française.
SupprimerPour la BD, comme je l'expliquais à Michelaise, ce sera un peu plus tard ce mois-ci...
Bonne semaine, Anne et à très bientôt
P. S. Si vous décidez de vous procurer une édition de poche du Survenant, je vous ferai parvenir, comme je l'ai fait pour Odile, le glossaire qui accompagne l'édition savante si cela vous intéresse...
J'en serais très heureuse et je vous préviendrai lorsque mon libraire m'aura procuré le livre. Je vous remercie pour les éléments biographiques concernant Germaine Guèvremont. Ils sont émouvants.
SupprimerEn ce qui concerne "En pleine terre", j'ai déjà relevé des mots et expressions particuliers qui m'ont plu et je pensais publier quelques interrogations dans un prochain article à ce sujet, sur mon blog. Mais juin est toujours très actif et mes publications vont commencer à s'estomper. Je vous remercie à l'avance de votre patience.
A bientôt, Marie-Josée.
Nous logeons à la même enseigne en cette fin de trimestre! Cela me rend donc très patiente et compréhensive...
SupprimerÀ tout bientôt
Tien... encore un TREMBLAY ! C'est fou ce que l'on peut rencontrer de personnes répondant à ce nom là dans ton pays : cela m'avait frappé !
RépondreSupprimerBiseeeeeeeeeeeeeees de Christineeeeeeeeeeeeeeee
Oui... ce sont nos Dupont en quelque sorte!
SupprimerBises à toi
Merci pour ton billet, Marie-Josée ! J'ai envie de dire, vive la diversité des langues, non à l'uniformisation ! Dans le Haut-Rhin, l'alsacien n'est presque plus qu'une langue de musée.
RépondreSupprimerLe joual a des caractéristiques particulières qui font de sa quasi-disparition un bienfait comme je l'expliquerai bientôt, dès que j'aurai déposé ma plume rouge pour l'été!
SupprimerLes années qui passent ne m'empêchent pas de toujours vouloir élargir mon horizon et mes connaissances. Avec toi c'est un régal. Je fais très souvent des découvertes grâce à tes billets. Aujourd'hui c'est Michel Tremblay. Je vais essayer d'en savoir davantage grâce à notre "ami" Internet.Je vais aussi mettre le roman dont tu nous donnes le titre dans ma liste de lectures à venir.
RépondreSupprimerBon courage pour ta semaine.
Bien amicalement.
J'aimerais bien être comme Simone Weil qui, quelques semaines avant sa mort, avait entrepris l'étude du sanskrit!
SupprimerDans l'oeuvre de Tremblay, le théâtre précède le roman, mais compte tenu de la langue utilisée dans les premières œuvres, il est peut-être plus facile d'aborder tout d'abord le versant romanesque.
Les deux premiers titres des Chroniques du Plateau Mont-Royal sont : La grosse femme d'à côté est enceinte et Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges.
Bonne lecture!
Ah Marie-Josée, tu me fais rêver, voyager, m'enthousiasmer à chacun de tes articles ! Pour être si réceptive, j'ai dû être québécoise dans une vie antérieure :-) D'après ce que je comprends, le joual n'a pas réellement de forme écrite et touche plutôt Montréal.Ce n'est pas ce qu'on trouve dans "Le survenant" par exemple ? J'attendrai ton article pour en savoir plus.
RépondreSupprimerJe n'ai jamais lu Michel Tremblay mais je vais essayer de trouver l'ouvrage que tu cites, pour une première approche. Il est vrai que sans ton explication (Main street), la lecture qu'on peut faire de l'affiche est toute autre ! En tout cas, tes conseils de lecture sont précieux. J'ai pu obtenir par internet Le Survenant que j'ai beaucoup apprécié, et "Marie-Didace" que je viens de recevoir, dans l'édition de 1947 ! Je le redis, j'aime ces récits d'un monde rural qui ne doit pas être très éloigné de celui de nos ancêtres bourguignons ou champenois ! J'ai retrouvé d'ailleurs des expressions entendues dans mon enfance, dans le village de mon père.
Encore un grand merci pour le glossaire, très intéressant à la fois pour me conforter dans certaines interprétations, et pour enrichir mon vocabulaire québécois !
A bientôt Marie-Josée.
Odile, de Tremblay ;-)
Marie-Josée, j'ai oublié 2 choses. D'abord, comme je n'ai pas trouvé de fonction "rechercher" sur ton blog, je ne sais pas où lire ton autre article sur Tremblay.
RépondreSupprimerEt ensuite à propos de l'accent québécois, ça me frappe toujours de constater que les chanteurs (ceux qui sont cités, mais les autres aussi, Diane Dufresne par exemple) ont un accent "à couper au couteau" lorsqu'ils parlent, mais plus du tout lorsqu'ils chantent ! Je me souviens de notre premier dîner à Montréal, dans l'un des restaurants de la vieille ville : nous ne comprenions absolument rien de ce qui se disait, sur scène ou dans la salle... Il a fallu s'habituer, mais après, c'est bien agréable ! Bonne semaine à toi.
Voici le lien vers cet autre article. J'essaierai de me familiariser avec la fonction «rechercher» pendant les vacances... http://notulesartistiques.blogspot.ca/2012/11/photographie-de-la-semaine-32-les.html
SupprimerQuant à ta deuxième question, je crois que cela a à voir avec les cours de chant. De la même façon que nos comédiens peuvent jouer Tremblay ou Racine parce qu'ils prennent des cours de diction au conservatoire, les chanteurs doivent apprendre à articuler correctement pour chanter. C'est une hypothèse, mais elle se tient...
Grâce à vous je me suis initiée à Michel Tremblay
RépondreSupprimerHeureusement ici Actes Sud nous permet d'accéder à ses oeuvres
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Bonne journée
Actes Sud et Leméac font une co-édition depuis des années. Nous disposons donc de la même édition en France et au Québec.
SupprimerMerci pour la référence
À bientôt