Les Chuchoteuses de Rose-Aimée Bélanger (2002) rue St-Paul, placette Saint-Dizier, Vieux-Montréal |
Je n'ai jamais enseigné l'oeuvre de Tremblay; j'en connais pourtant l'essentiel ayant lu chaque nouveau texte au moment de sa publication et vu plusieurs des pièces de celui qui demeure probablement à ce jour notre plus grand dramaturge, ne serait-ce que par l'ampleur d'une oeuvre qui n'est d'ailleurs pas encore close.
Je vous envoyais donc en toute confiance, l'an dernier, voir la production Belles-soeurs lorsqu'elle a été annoncée à Paris, mais éloignement, calendrier ou histoire de gros sous ont fait en sorte que je n'ai guère eu d'échos et comme je suis une inénarrable tête de mule -comment survivre autrement dans le monde de l'enseignement ou dans notre monde tout court? -, je reviens aujourd'hui à la charge, histoire de narguer madame Cauchard qui, en hypokhâgne à Lyon, m'avait interdit d'utiliser des exemples tirés de la littérature québécoise. Tête de mule ou, les mauvais jours, tête de cochon...
Depuis que j'ai vu pour la première fois cette sculpture sur la page Facebook d'une collègue, je n'ai cessé de l'associer plus ou moins consciemment, sans en rien connaître à l'origine, aux trois soeurs que l'on retrouve dans certaines oeuvres de Michel Tremblay. Or, la semaine dernière, m'acheminant vers un restaurant trop bruyant du Vieux-Montréal, je suis tombée par hasard sur le trio qui, vu l'éclairage nocturne, semble plutôt en chocolat qu'en bronze, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Les chuchoteuses de Rose-Aimée Boulanger* se trouve sur la rue St-Paul, pas très loin de la basilique Notre-Dame. Les entrevues visionnées sur la toile n'indiquent pas de parenté avouée entre l'oeuvre de la sculpteure et celle de Tremblay dont je vous parlerai quand même...
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Pour faire une histoire courte, disons que Tremblay aime brouiller la chronologie. Ainsi met-il en scène, dans Albertine en cinq temps, le même personnage joué par cinq comédiennes différentes incarnant cinq âges de la vie du même personnage. Il a d'ailleurs appliqué ce brouillage à l'élaboration même de son oeuvre puisqu'ayant tout d'abord écrit de nombreuses pièces de théâtre, il est, par la suite, revenu sur ses pas pour exposer le passé de ses personnages à travers le cycle romanesque intitulé Les Chroniques du plateau Mont-Royal.
C'est dans ces chroniques, teintées de ce que l'on a appelé le «réalisme fantastique» que Michel Tremblay a intégré une sorte d'avatar «québécisé» des Parques, devenues quatre comme les trois mousquetaires... En lieu et place de Clotho, Lachésis et Atropos, la première tenant un fuseau sur lequel la seconde enroule un fil que la troisième coupera, nous retrouverons Rose, Mauve et Violette, trois tricoteuses interchangeables qui accompagnent les destinées des membres de la famille de Victoire, cette ancêtre première à la manière de l'Adélaïde Fouque des Rougon-Macquart. Elles apparaissent dès la toute première page de La Grosse femme d'à côté est enceinte tricotant les «pattes de bébé» pour l'enfant à venir de la grosse femme. À l'encontre des Parques, ces trois soeurs sont également des artistes, Rose excellant en poésie et les deux autres s'adonnant à la musique.
Ces personnages transcendent époques et générations. Seuls les êtres ayant une forme de double vue comme les artistes Josaphat-le-Violon, frère de Victoire ou Marcel, son petit-fils, voient les trois soeurs et leur mère, Florence.
Univers à découvrir...
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* Les minces renseignements recueillis sur la toile accordent la maternité de cette oeuvre à Rose-Aimée Bélanger dont l'histoire est pour le moins touchante. Née en 1923, elle ne disposait pas des subsides nécessaires pour poursuivre ses études en arts. C'est donc à l'âge de cinquante ans, après avoir élevé huit enfants, qu'elle put enfin se concentrer à cette passion qui ne l'avait jamais quittée. Ses «femmes rondes», comme elle aime les appeler, tout d'abord de petits formats, ont à son grand étonnement intéressé un galeriste ontarien et sont maintenant vendues à travers tout le Canada. La sculpture de la rue St-Paul pourrait d'ailleurs être acquise par un amateur fortuné prêt à débourser $75 000.
Amartia est à l'origine de cette chronique
P.S. On excusera ma défection de la semaine dernière, chaque existence comportant des évènements grinçants...
Cela ne t'étonnera pas si je te dis que je ne connais pas cet auteur, mais ce que tu en dis donne bien sûr de réparer ce qui a l'air d'être une erreur. Alors je prends note de son nom. Quant à la sculpture, ces chuchoteuses ont un peu l'air de commères, mais j'en retiens surtout l'expression de complicité. Bonne semaine à toi
RépondreSupprimerÀ l'échelle du Québec, Michel Tremblay est un peu notre Balzac. Et tu n'as pas à être effrayée : dans les romans que j'évoquais, seuls les dialogues sont écrits en joual, le reste du texte relevant plutôt du français international.
SupprimerTu m'en donneras des nouvelles si tu t'y mets!
Bonne semaine à toi aussi
Passionnant ce billet à partir cette sculpture. Merci et bonne semaine.
RépondreSupprimerTant mieux, François! Il faisait un peu froid, la semaine dernière, pour les photos et j'ai fait geler sur le coin de la rue la personne qui m'accompagnait, mais cela en valait la peine!
SupprimerBonne semaine à toi aussi
une découverte, j'aime cette sculpture, l'allure, la complicité des commères...et je note aussi l'auteur du livre ce billet me met l'eau à la bouche !
RépondreSupprimerbonne semaine
Bienvenue Josette!
SupprimerDommage que je ne provoque pas autant d'enthousiasme chez mes étudiants!
Bonne semaine et à tout bientôt
Merci pour ton billet et ta mise en lien des différentes oeuvres. Je les aime beaucoup ces "chuchoteuses" avec leurs mimiques théâtrales de commères :-) Je les trouve belles aussi !
RépondreSupprimerJ'ai essayé de voir s'il existait un lien avéré entre mes commères et celles de Tremblay, mais les vidéos visionnées sur la toile au sujet de Rose-Aimée Bélanger ne me permettent pas de conclure. Cette dame aura 90 ans l'an prochain. Lorsque je retournerai dans le Vieux-Montréal, je m'arrêterai à la galerie qui l'expose, histoire d'en savoir un peu plus.
Supprimerà bientôt
Comme Amartia je les trouve bien commères ces chuchoteuses ! Découverte de cet auteur aussi pour moi !
RépondreSupprimerBon dimanche et bonne semaine !
des heures de plaisir à venir si tu t'attaques à Tremblay! J'ai évoqué les Chroniques du plateau Mont-Royal, mais il est aussi possible d'entrer dans cette oeuvre par trois petits récits à caractère autobiographique : Douze coups de théâtre, Les vues animées et mon préféré Un ange cornu avec des ailes de tôle.
SupprimerLes textes dans lesquels Tremblay met sa mère en scène sont le plus souvent hilarants!
Bonne semaine
Je découvre aussi cette sculpture qui me ravi tu penses bien par ses rondeurs.
RépondreSupprimerJe connais très peu Michel Tremblay. Un couple d'amis québécois m'avait parle d'une série télévisée dont j'ai oublié le titre qui traitait du sujet de l'homosexualité avec intelligence.
J'aime beaucoup Ginette Reno et je sais aussi qu'il l'a fait jouer dans une pièce ou un film.
Mais ton analyse de son œuvre donne envie d'aller plus loin.
J'aime beaucoup tes billets.
Bisous et belle soirée ou journée. J'ai un problème avec le décalage.
Oui... Rose-Aimée Bélanger, dont j'ai fait la connaissance à travers quelques vidéos, disait qu'il ne fallait pas dire «grasses», qu'elle aimait mieux le terme «rondes» pour désigner ses femmes, cette rondeur évoquant avant tout pour elle la tendresse...
SupprimerMichel Tremblay est effectivement homosexuel, il n'en ajamais fait mystère et il traite de cette question dans son oeuvre. Par contre, peut-être confonds-tu avec le Léolo de Jean-Claude Lauzon pour la prestation de Ginette Reno. Ce cinéaste est malheureusement décédé très jeune avec sa compagne dans un accident d'avion qu'il pilotait lui-même. Cela a beaucoup frappé les imaginations à l'époque...
Regarde mon commentaire en réponse à Enitram si tu as envie de débuter la lecture de Tremblay...
Bises.
J'ai retrouvé le titre du film dont le scénario a été écrit par Michel Tremblay et ou Ginette Reno tiens le rôle principal.
Supprimer"C'ta ton tour Laura Cadieux."
http://fr.wikipedia.org/wiki/C%27t%27%C3%A0_ton_tour,_Laura_Cadieux.
Je crois qu'il y a un roman aussi.
Bises
Tu as tout à fait raison! Ce n'est pas pour excuser ma défaillance, mais cette pièce est devenue film, puis série télévisée, puis autre film... j'avais donc perdu le fil et associé cette oeuvre plutôt à la réalisatrice du film, Denise Filiatrault, qui est d'ailleurs à l'origine une comédienne qui a joué du Tremblay, en particulier le rôle de Rose à la création des Belles-soeurs
SupprimerMille excuses!!!
Lisez ici ce qu'il en a été dit
RépondreSupprimerVous voyez que vous aviez raison
Figurez-vous que j'ai repris Un ange cornu avec des ailes de tôle
J'avais un peu délaissé le papier ces derniers temps j'y reviens
Je vous écris très vite j'ai une proposition malhonnête à vous faire en réponse à la nouvelle de cette nuit
Bonne fin de journée
Aïe, Aïe, Aïe!
SupprimerProposition malhonnête entre deux fonctionnaires, l'une, de l'état français, et l'autre, du québécois. Gare! Ne l'acheminez pas sous forme d'enveloppe brune, car la juge Charbonneau siégeant en sa commission pourrait nous assigner à comparaître!
Elles sont sympas comme tout, les "Rondes" de Mme Bélanger ! elles ont une certaine ressemblance avec celles de Botero.
RépondreSupprimerSur le site de la galerie St Dizier, j'ai trouvé une biographie de cette charmante vieille dame, avec ses œuvres et deux vidéos (le son de la première est défectueux, mais la seconde fonctionne bien). Je suis autant séduite par ses sculptures que par la personnalité de l'artiste.
Merci pour cette belle découverte, Marie-Josée.
Je pensais justement à vous et votre commentaire apparaît! Merci d'avoir mis les vidéos en lien. Effectivement, madame Rose-Aimée est très attachante et le fait d'avoir attendu trente ans avant de pouvoir assouvir sa passion pour la sculpture montre bien sa détermination. Elle ne parle toutefois pas de ses sources d'inspiration. J'ai moi aussi pensé à Botero!
SupprimerÀ tout bientôt et bon dimanche
Bonsoir Marie-Josée. Je trouve ces chuchoteuses bien sympathiques. Elles sont si vivantes, si réelles...
RépondreSupprimerJe note les références que tu donnes pour l'ouvrage de Michel Tremblay. Merci pour tes conseils (j'ai lu aussi ce que tu as conseillé à Enitram)
Bon dimanche à venir.
Tu m'en donneras des nouvelles! Tremblay n'est pas un styliste, mais c'est un superbe conteur!
SupprimerBon dimanche à toi aussi.
J'essaie...pour l'instant de saisir le sens...de la machine, pour le moment; après je pourrai rajouter un commentaire plus décent et approprié!
RépondreSupprimerJB
Montrons de la patience avec Josée qui est une ancienne amie, mais une toute nouvelle blogueuse. Son grand âge la laisse bouche bée devant les technologies qui ne sont pas de son siècle. Espérons qu'elle persévérera tout de même après un petit repos bien mérité vu les efforts surhumains qu'elle a dû fournir pour inscrire cette première participation...
Supprimer;0)
Le chocolat va bien à ces "chuchoteuses", quant à Tremblay, je ne l'ai jamais lu.
RépondreSupprimerA intégrer sur ma liste des lectures à venir.
Je t'embrasse, très bon dimanche !
Il faudra que tu fasses un détour par le plateau Mont-Royal lorsque tu séjourneras à Montréal : c'est essentiellement ce quartier que Tremblay a mis en scène avec la Main (pour Main Street), cette rue St-Laurent que tu as certainement dû croiser et peut-être même arpenter!!!
SupprimerBon dimanche
J'aime beaucoup cette sculpture qui m'a évoqué, dans un tout autre style, "les causeuses" de Camille Claudel. Ces femmes en discussion animée, nous en connaissons toutes et nous pouvons aisément imaginer ce qu'elles racontent. Nous ressemblent-elles un peu (par blogs interposés)? En tout cas, elles sont pleines de vie et de charme!
RépondreSupprimerJe note les références du livre que vous donnez envie de découvrir.
Bon dimanche, Marie-Josée!
Oui, bien sûr, nous sommes tour à tour, causeuses, chuchoteuses ou commères selon les jours, mais, de grâce, ne nous prédisez pas le tour de taille de ces charmantes dames! Même si la rondeur évoque surtout la tendresse, j'avoue qu'il y a certainement d'autres moyens de la manifester!!!
SupprimerTrès bonne semaine, Anne
Hi
RépondreSupprimerSorry to comment in English. My written French is pathetic(It's pity that I can only manage to read French with dictionaries).
”Ces personnages transcendent époques et générations. Seuls les êtres ayant une forme de double vue comme les artistes Josaphat-le-Violon....." sounds so interesting. It's the first time that I've ever heard about «réalisme fantastique». I wonder if it is different from ≪réalisme magique≫?
Have a lovely day!!
Welcome, Sapphire and don't feel sorry : I read english easily but I write with some mistakes, I'm quite sure, and we're better not to speak about Japonese even if i would like to learn it one day to be able to read all the mangas...
SupprimerAnyway... the passage you quote just mean that Rose, Mauve, Violette and their mother are always there, without changing even if they make company to three different generations.
«Fantastique» and «magique» in french literature, are different. We tend to use «fantastique» in order to describe worlds that seem quite normal until something begins to change. Have you read The Horla from the french writer Maupassant? This is the kind of universe that can be called «fantastique» in french.
Have a nice week
J'aime bien l'air précieux de la chuchoteuse de gauche... et les deux amies intéressées presque un peu incrédule pour celle du milieu. Très expressif!
RépondreSupprimerOui, surtout sous cette lumière vespérale...
Supprimerà bientôt
Je les aurais bien baptisées : les papoteuses, en train de se chuchoter... la dernière recette à la mode... toute en chocolat !
RépondreSupprimerOui, je sais... ça ne vole pas très haut ce matin !
Biseeeeeeeeeeees de Christineeeeeeeeeeeeee
Il y a des jours comme ça... Vu leur taille respective, il est en effet certain qu'elles ont un tant soit peu abusé des bonnes choses et le chocolat en fait partie!!!
SupprimerBises friquettes ce matin si je puis dire... le grand chien apprécie, mais il est bien le seul!
Quel naturel, saisi sur le vif... le côté commérages, papotages par forcément très charitables, est très très bien rendu !!! ON retient le nom de Marie Rose !! Quant à Tremblay, je sens qu'il va falloir prendre le temps de le lire ...
RépondreSupprimerOui, il faudrait mener une enquête plus approfondie, mais cette dame aura 90 ans cette année. Il existe deux vidéos, comme le disait Tilia, sur le site de la galerie Saint-Dizier. Elle semble avoir créé son monde sans références à celui des autres, comme si elle l'avait toujours porté en elle comme les huit enfants auxquels elle a donnée naissance.
SupprimerSi tu as envie de lire Tremblay, regarde peut-être le commentaire laissé plus haut à Martine!
Bonne semaine. Les examens doivent approcher chez toi, bienheureuse qui a une année scolaire normale!!!
Voilà, je reviens avec plus d'assurance ,en veillant surtout à faire un commentaire un peu plus pertinent que le précédent...En effet, Marie-Josée, nous sommes d'anciennes amies, mais je te redécouvre ici et ça me touche beaucoup: ta grande sensibilité artistique, ton intelligence littéraire, ton humour délicieux, ton art d'écrire grâce auquel tu rejoins tant de gens! Voilà que tu touches au coeur de la vie: la Beauté! Merci d'être mon ancienne amie , si jeune de coeur et remplie de secrets,à partager encore!
RépondreSupprimerLe dernier livre de Tremblay, La Grande Mêlée fut un vrai régal pour moi: voilà le sens d'un vrai mariage: une grande mêlée!!!
Bonne semaine!
Merci pour toutes ces fleurs... À quand le pot?
SupprimerJe n'ai pas encore lu La grande mêlée (t'expliquerai in presentia pour les italiques vu ton niveau en informatique...). Ce sera pour mon petit Noël avec les aventures de Ti-Lou, la louve d'Ottawa : AHOUUU!!!!
P.S. Tu aurais pu continuer notre échange en cliquant sur le bouton «répondre» là-haut. Nouvelle petite chose à intégrer pour ta prochaine visite.
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