Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






mardi 13 décembre 2011

Suis-je encore canadienne?


Dans notre communauté de blogueurs, je suis spontanément identifiée comme « la Québécoise » et j'accepte implicitement ce rôle en donnant des détails sur le mode de vie dans mon coin de planète. Mais je voyage toujours avec un passeport canadien… Mon tout premier passeport, en 1976, ajoutait d'ailleurs que j'étais citoyenne britannique. C'était avant le rapatriement de la constitution canadienne en 1982.

J'ajouterai que je connais peu ce pays qui est le mien, ayant choisi d'explorer les autres continents, plus particulièrement l'Europe, avant de me concentrer, dans mon grand âge, sur le mien que j'explorerai, comme les personnages de Jacques Poulin, en Westphalia avec mes chiens entre deux sessions de zoothérapie dans les hôpitaux ou les écoles!

J'ai bien fait une petite virée du côté des provinces de l'Atlantique pour admirer la terre rouge de l'île du Prince-Édouard, patrie de Lucy Maud Montgomery, en passant par le Nouveau-Brunswick et je vais régulièrement en Ontario voir les expositions qui se tiennent au Musée des Beaux-Arts de la capitale nationale, Ottawa, mais mes pérégrinations canadiennes s'arrêtent là.


J'ai certes le projet de traverser un jour ce pays en empruntant le moyen de transport qui l'a constitué au début du vingtième siècle, le train, mais c'est moins pour m'approprier de visu les paysages que les agences de voyage vantent auprès des étrangers que pour mettre mes pas dans ceux de Gabrielle Roy, la franco-manitobaine que la littérature québécoise s'est annexé, et qui a débuté sa carrière d'écrivain en arpentant le Canada pour les reportages qu'elle publiait dans Le Bulletin des agriculteurs, les meilleurs ayant été rassemblés dans un recueil qui s'intitule : Fragiles lumières de la terre ou dans cet autre, plus récent que l'on voit sur l'image de gauche.

Mais depuis une dizaine d'années, même si je sens toujours une certaine appartenance aux vastes paysages que j'ai appris à connaître à travers la littérature, je me définis de moins en moins comme Canadian, les valeurs de la société québécoise s'éloignant de plus en plus de celles du reste du pays qui a porté au pouvoir le gouvernement de droite de Stephen Harper. Et, en ce matin qui voit le retrait officiel du Canada du protocole de Kyoto, j'avoue que, si j'avais encore quelques doutes, cette dernière initiative du gouvernement fédéral vient de marquer un point de rupture définitif.

« Cela nuirait trop à l'économie canadienne » a dit le ministre Kent qui, deux heures après son retour de Durban, était déjà derrière les micros pour annoncer la nouvelle. Le Canada fait la une des journaux ce matin, mais il n'y a vraiment pas de quoi se vanter. Comment peut-on concevoir que cette année qui a vu la catastrophe nucléaire engendrée par le tsunami au Japon, les pires sécheresses que le sud des États-Unis ait connu depuis des décennies et un réchauffement global du climat de plus en plus marqué, on mette encore de l'avant les préoccupations économiques avant celles qui consistent à se demander s'il y aura encore une planète où il soit possible de vivre dans cinquante ans?

Le 11 septembre 2011, les spécialistes de la mémoire nous ont fait remarquer que, malgré la décennie écoulée, nous savions tous encore très exactement ce que nous faisions au moment où nous avons appris la chute des tours du World Trade Center. J'étais à l'école, retournant à mon bureau après la fin d'une classe et la responsable de mon département m'avait apostrophée, paniquée, car l'on venait d'annoncer qu'on évacuait les tours du centre-ville de Montréal à la suite de l'attentat new-yorkais. J'avais trouvé la réaction de mes collègues et des autorités montréalaises exagérée, car la réputation du Canada sur la scène internationale me semblait le protéger de ce genre d'attentat auquel l'arrogance des Américains les exposait. J'avoue que je ne suis plus du tout certaine que ce soit dorénavant le cas et, même si le Québec a voté majoritairement contre le gouvernement Harper aux dernières élections fédérales, nous nous sommes sentis bien isolés au moment du dépouillement du scrutin.  Le verre à moitié plein de Françoise menace vraiment beaucoup aujourd'hui de se retrouver à moitié vide...

16 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ce billet, Marie-Josée.
    Parfois, je me pose la question : "suis-je encore française" ?

    RépondreSupprimer
  2. Comme je vous plains, Marie-Josée, d'avoir à endurer la bêtise aveugle d'un gouvernement uniquement préoccupé de satisfaire l'insatiable cupidité des investisseurs. Je vous plains d'autant plus sincèrement qu'ici ce n'est pas mieux et que j'attends avec impatience le printemps dans l'espoir d'un changement...

    RépondreSupprimer
  3. On est dans une période embrouillée sur la question politique au Québec ces temps-ci, à tous les niveaux de gouvernements. Quand nous étions nationalistes, c'était plus clair mais comme il faut se repositionner et cesser de rêver, c'est pas évident. Du moins pour moi ça l'est pas. Moi, je suis tantôt à droite, tantôt à gauche, ça dépend du sujet...
    Bonne fin de journée.
    Linda

    RépondreSupprimer
  4. @ Norma

    Peut-être ai-je été un peu radicale en ce sens qu'il faut distinguer le pays de son gouvernement. J'imagine bien que c'est un peu la même chose pour la France ou pour l'Italie dont vous avez si bien célébré les beautés récemment...

    RépondreSupprimer
  5. @ Tilia

    Je vous souhaite effectivement un printemps sur lequel soufflera le vent qui a agité le monde arabe en 2011! Par contre, nos démocraties occidentales seront certainement plus lentes à bouger; un cinéaste québécois que vous connaissez peut-être, Denis Arcand, avait fait un film, il y a quelques décennies qui s'intitulait "Le confort et l'indifférence"...Je ne méconnais pas l'existence des défavorisés dans nos sociétés, mais le filet social qui les retient tout de même encore un peu empêche les grandes révoltes comme celles qui ont eu lieu et qui sévissent encore dans certains pays du Moyen-Orient comme la Syrie...

    RépondreSupprimer
  6. @ Linda

    Québec solidaire me semble représenter l'alternative la plus viable à bien des égards, mais il y a encore du chemin à faire pour que leur vision soit intégrée par une large part de l'électorat...

    RépondreSupprimer
  7. @ Pat

    Bonjour et bienvenu! Je suis bien contente d'accueillir un blogueur belge. J'ai, pour votre pays où j'ai séjourné en 1998, une grande affection et je garde de très bons souvenirs de mes pérégrinations bruxelloises et flamandes! il faut dire que mon amour inconditionnel de la BD me prédisposait depuis longtemps à cet attachement!

    Au plaisir de vous revoir.

    RépondreSupprimer
  8. La France a été assez discrète sur cette décision de se retirer du Protocole de Kyoto.
    On a juste parlé d'une mauvaise nouvelle pour la lutte contre le changement climatique...
    Personnellement contre vents et marées je m'attacherai à mon identité française,je ne me sens en aucun cas européenne ,encore moins de droite ou de gauche je trouve qu'il y a du bon et du mauvais chez tout le monde.
    Pour faire partie depuis plus de vingt ans de ceux qui tiennent les manettes de notre commune, je peux vous assurer que ce n'est pas toujours facile de prendre une décision de toute façon quelle que soit la décision prise il y aura toujours des mécontents.
    Et je m'accroche pour que mon verre soit toujours à moitié plein

    RépondreSupprimer
  9. Oui, Françoise, moi aussi je m'accroche et j'essaie de faire partie de ceux qui aident à prendre des décisions constructives plutôt que de rester à l'arrière tout en critiquant tout ce qui se fait.

    Je n'avais jamais affiché de prise de position politique et peut-être, d'ailleurs, n'est-ce pas le lieu, d'autant que cela ne correspond guère à ce que mon liminaire annonce, mais je trouve que la coupe est bien pleine et cette décision du gouvernement Harper est prise avec l'arrogance qui caractérise son parti depuis qu'il est majoritaire.

    En plus de la critique, je voulais aussi manifester la différence québécoise qui, paradoxalement, au moment où l'option souverainiste bat de l'aile à cause, entre autres, des dissensions internes au parti québécois, est de plus en évidente à tous égards qu'il s'agisse de la volonté du Québec de maintenir le registre des armes à feu, de la loi sur les jeunes contrevenants ou de nos actions pour lutter contre les changements climatiques. Et je ne vous parle pas de la culture, car ce serait tout un chapitre.

    Mais, peut-être vais-je garder ces commentaires pour moi, car la politique divise, et il est souhaitable de préserver un espace où l'on puisse se reposer un peu l'esprit en toute quiétude de manière à puiser dans nos échanges l'énergie nécessaire pour assumer les luttes du quotidien...

    RépondreSupprimer
  10. Bien sûr la politique divise, mais nos écrits, nos impressions sont fatalement imprégnés de ce que nous sommes, de ce que nous pensons... Il suffit d'être attentif... Chère Marie-Josée, moi je suis un peu perdue en ce moment, j'évite les informations de face, j'essaye de rester critique, d'inventer, mais c'est dur !

    Veiller sur la planète est un devoir pour tous tous, il n'y a pas d'autre solution...

    Etre Française me va bien cependant, je ne m'identifie pas du tout aux dirigeants politiques, le hasard de ma naissance m'a conduite à être là, je fais ce que je peux pour mettre le genre humain au centre de mes préoccupations, tu fais pareil Marie-Josée, c'est pourquoi nous pouvons parler et tenter de nous comprendre mieux... Je crois.

    Bises du matin, prends soin de toi. la canadienne... :-))))

    RépondreSupprimer
  11. Tu sais, Danielle, trois personnes dont toi ont répondu en mettant en cause ou en réaffirmant leur identité française... L'analogie n'est toutefois pas parfaiteentre l'appartenance à la France ou à l'Europe et celle qui consiste à se dire Canadien plutôt que Québécois. Bien que j'aie abordé la question par le biais de la politique à cause d'une autre décision très controversée du gouvernement Harper, au bout du compte, c'est plutôt une différence culturelle qui est en cause, et cette disparité remonte à l'origine de la formation de ce pays bicéphale sur laquelle je ne te ferai pas un cours ce matin...

    Il est plus simple d'établir un parallèle, pour comprendre ce qui se passe au Canada, avec la Belgique.

    Quant à la sauvegarde de l'environnement qui est l'un des aspects qui distingue une partie du peuple québécois et ses élus du reste du Canada, je suis bien d'accord avec toi, même si je n'ai pas d'enfants : j'aimerais bien que les gens à qui j'enseigne puissent vivre dans un monde décent, et ce n'est pas ce qui semble poindre à l'horizon.

    Bonne fin de semaine à toi!

    RépondreSupprimer
  12. Ne connaissant pas l´actualité canadienne, merci Marie-Josée de ton billet.

    RépondreSupprimer
  13. @ Alba

    Cette actualité n'est pas à l'honneur du Canada, bien malheureusement... J'ai connu des périodes où nous nous distinguions, sur la scène internationale, pour de meilleurs motifs. J'espère que cela reviendra!

    Bon dimanche espagnol!

    RépondreSupprimer
  14. Un grand merci Marie-José pour ton billet passionnant !
    Il ne me semble pas non plus qu'on puisse faire le parallèle entre se sentir québécois au Canada et se sentir français...en France ou en Europe ! Peut-être pourrions-nous rapprocher cela des corses ou des basques (voire des bretons ou des alsaciens !) qui se sentent de leur région avant d'être de leur pays.

    Je me souviens (!) de mon premier voyage au Québec, et de ces tee-shirts qui fleurissaient partout : le mouton noir au milieu de tous les moutons blancs (combien ? je ne sais plus) marquait bien la différence entre ces états. Différence affichée et revendiquée, je crois.

    Je l'ai moins senti lors de ma dernière visite, il y a 3 ans. Mais ce que j'ai senti, égoïstement, c'est la différence de traitement, pour nous français, lorsqu'on est au Québec, et lorsqu'on est ailleurs... Cette année-là, après Montréal et Québec bien sûr, j'étais allée aussi à Ottawa et à Toronto. J'avais l'impression que plus on descendait vers les Etats-Unis, plus on suscitait de l'indifférence, voire de l'agacement...

    Je sais bien que ça ne te consolera pas, mais dis-toi que chez nous aussi, nous sommes nombreux à avoir honte chaque fois qu'une décision est prise, dans l'urgence et dans la démagogie, depuis quelques mois/années... au nom de notre pays.

    Mais à plus d'un titre, il semble que le Québec (je ne connais pas les détails politiques et administratifs pour affirmer que c'est la même chose dans tout le Canada) soit un modèle pour bien des démocraties : l'égalité hommes/femmes par exemple, sur le plan du langage, sur le plan de l'accession aux responsabilités, sur le plan de l'éducation. Mais aussi par rapport à l'implication des citoyens... Bon j'espère que je ne me fais pas trop d'illusions ;-))

    En tout cas, le Québec est un "pays" où j'aimerais bien vivre... malgré ses hivers rigoureux !

    Passe une bonne journée. Odile.

    RépondreSupprimer
  15. Tu sais, Odile, l'herbe est toujours plus verte chez le voisin! Il y a toutefois une chose pour laquelle le Québec a une longueur d'avance sur la France, et c'est l'égalité entre les hommes et les femmes! Il faut certes demeurer circonspectes, car l'atavisme n'est jamais bien loin, mais, dans l'ensemble, notre société a bien intégré ce concept.

    Il est vrai qi'avec les hommes qui s'absentaient tout l'hiver pour monter dans les chantiers, les femmes devaient savoir tenir le fort pendant cette absence, comme cela s'est produit en Europe au moment de la Grande Guerre qui a eu peu de retombées positives sinon celle d'amener les femmes à quitter leur foyer et à ne plus vouloir s'y confiner.

    Autrement, la corruption qui vient, semble-t-il, presqu'automatiquement avec l'exercice du pouvoir frappe autant le gouvernement québécois que les autres et notre système d'éducation comme notre système de santé font figure de parents pauvres depuis quelques décennies déjà.

    Si j'avais le choix? J'irais très certainement explorer les démocraties du nord de l'Europe : Danemark ou Suède par exemple. Mais je reviendrais peut-être à demeure vers un peuple avec lequel j'ai malgré tout quelques accointances historiques : je me sens parfois plus chez moi à Londres qu'à Paris pour diverses raisons en dépit de mon anglais dont l'accent est bien reconnaissable!

    À bientôt, ici ou chez toi!

    RépondreSupprimer

Vos commentaires et réflexions sont bienvenus en français, en anglais, en italien et en espagnol ;0)