Mercredi dernier, c'était le quinzième anniversaire du décès de ma mère, morte trop jeune à l'âge de soixante-cinq ans. J'avais trente-quatre ans. On peut donc considérer cela comme un progrès puisque ma grand-mère maternelle est morte alors que ma mère n'avait que dix-neuf ans… Quelque temps avant sa mort, forte de ses propres expériences, ma mère m'avait confié : «Tu sais, on n'oublie pas; on n'oublie jamais. Mais avec le temps, on devient moins triste. Heureusement!» En me disant cela, elle me faisait un dernier présent, car je me suis sentie légitimée de ne pas me complaire dans le deuil pour aller plutôt de l'avant avec ma propre existence.
C'est donc sur le ton de l'humour que j'ai envie que l'on se souvienne, pour celles qui l'ont connue, ou que l'on apprenne à découvrir, pour les autres, cette femme qui aurait maintenant quatre-vingts ans et qui a tiré sa révérence un peu trop vite à mon goût et au sien.
Pour toi…
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L'automne venu, il fallait autrefois réinstaller les «châssis doubles», remplacés par les nécessaires moustiquaires pendant la saison estivale, plus clémente sauf en matière de maringouins et autres mouches noires.Comme ma vieille maison n'a guère subi de rénovations, je peste encore contre ces châssis devenus bien difficiles à ouvrir avec les années. L'existence d'un espace entre les deux fenêtres – d'où l'appellation de « châssis doubles» - m'a toutefois remis en mémoire un petit épisode des démêlés de ma mère avec la foi catholique de notre désormais laïque province…
Née au tout début des années trente, ma mère baigna pendant au la première moitié de sa trop brève existence dans le climat d'extrême religiosité qui imprégnait alors la société canadienne-française pas encore québécoise. Fervente enfant de Marie, puis croisée, elle avait plus tard, comme elle le faisait toujours, aménagé l'hymne de ce groupe ainsi devenu :
Ma mère est la première à droite des jeunes filles en blanc |
Je suis croisée, c'est là ma gloire,
Ils m'ont choisie, moi j'voulais pas.
Combats sans peur pour la victoire,
Je suis croisée, je suis croisée!
Ma mère en 1954 |
Je ne sais d'ailleurs quel rôle j'ai joué dans son éloignement de la foi puisque ma naissance précéda de peu la mort de son père, événement d'autant plus traumatisant pour elle qu'elle n'était pas présente, son frère ayant décidé de ne pas la prévenir, ce qui la condamna, pendant quelques décennies, à chercher en rêve le père perdu dans les couloirs de l'hôpital jusqu'à ce qu'elle se lève un matin, en pleurant, parce qu'elle l'avait enfin retrouvé.
Ma naissance et la mort de mon grand-père coïncidèrent de surcroît avec les débuts de la Révolution tranquille, événement qui devait enclencher le processus de laïcisation de la société québécoise jusqu'à ce que toutes les religions, hormis la catholique, reprennent du poil de la bête et envahissent à nouveau ces dernières années, à travers de minces saris bien peu appropriés à nos hivers ou de lourdes burqas, l'espace public.
Ayant donc pris quelque distance avec la religion, ma mère y revint dans les dernières années de sa vie à travers certaines pratiques pour le moins surprenantes... Elle avait une dévotion toute particulière pour la Vierge, notre société matriarcale faisant probablement plus confiance aux femmes qu'aux hommes trop «pelleteux de nuages» pour régler vraiment les problèmes. Une petite statue de la mère du Christ aiguillait donc ses prières et cette statue trônait dans une plate-bande l'été, puis revenait à l'intérieur pour l'hiver.
Vitrail de la nouvelle salle de concert Bourgie |
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On n'est pas sans séquelles la fille de pareille femme…
Ayant récemment constaté qu'un malotru avait joyeusement égratigné ma petite voiture bleue toute neuve sans laisser sa carte de visite, je décidai illico d'envoyer la médaille de St-Christophe, patron des conducteurs, offerte en grande pompe par ma tante Jeannette, réfléchir au fond du coffre à gants pour un certain temps!
Il faudra toutefois la ressortir bientôt, car outre les châssis doubles, l'hiver est aussi la saison des accrochages.
Excellente évocation, Marie-Josée. Votre Maman était une femme vraiment attachante et belle de surcroît. Pour le St Christophe, du moment qu'il est dans la voiture, même du fond du coffre à gants, il saura vous protéger des accidents.
RépondreSupprimerMerci pour ce partage de vos souvenirs, c'est toujours un régal de vous lire.
Une maman comme la tienne...
RépondreSupprimerça ne s'invente pas !
Elle devait être si attachante, même avec ses petits travers mariaux assez cocasses : pauvre Vierge Marie, exposée au froid... mais sent-elle vraiment le froid ?
Ma maman aurait eu... 81 ans cette année...
Biseeeeeeeeeeeeees de Christineeeee
Merci Marie-Josée pour ce récit émouvant...et plein d'humour...
RépondreSupprimerRendez-vous à la prochaine sortie de St Christophe !
Bises du matin.
Marie-Josée, je garderai toujours de ta maman le souvenir d'une femme intense, intellectuellement active, affectueuse ayant le sens de la famille, et dont la générosité de l'accueil et du partage avaient certes contribué à mon adaptation à la vie québécoise. Je n'oublie pas non plus les chaussette de laine tricotées avec amour à mon insistance ou les betteraves en conserve que j'affectionnais particulièrement, sans oublier les bleuets à la crème et les discussions politiques... Je découvre avec ton texte les bribes d'une vie spirituelle... Nous essayons tous de garder du leg de nos parents le meilleur. C'était ce qu'ils auraient souhaité pour nous. Bises, Nada
RépondreSupprimerUn bel hommage à votre mère.
RépondreSupprimerJ´adore son humour et son dialogue avec la Vierge.
Une très jolie façon de contourner le moment.
RépondreSupprimerJ'ai plus que souri,j'ai ri aussi à cette évocation.
J'ai toujours la mienne de maman qui vient de fêter ses 78 bougies mais elle est moins cocasse que la votre
Passez une bonne journée
Merci, Tilia! pour elle...et pour moi!
RépondreSupprimerSalut Christine!
RépondreSupprimerDommage qu'elle n'ait pas été là pour t'accueillir au Québec, car tu aurais pu goûter à de la véritable cuisine québécoise dans une ambiance plus que chaleureuse! J'ai conservé son fourneau, mais je n'ai pas ses talents! Juste son sens de l'humour des meilleurs jours!
Merci de ton passage, Danielle. Oui, j'ai souhaité aller du côté de l'humour. Pour la tristesse, il y a Gabrielle Roy ;0)
RépondreSupprimerMalgré ta mémoire pleine de trous, je vois que tu n'as rien oublié! Ta maman aussi se souvient, et c'est un vrai plaisir pour moi d'avoir la possibilité de lui parler souvent!
RépondreSupprimerC'est vrai, Alba, les dialogues de ma mère prenaient souvent la forme de chansons qu'elle trafiquait allègrement et sans vergogne pour y inclure ses messages. Je vous raconterai un jour, peut-être à la faveur de la grève estudiantine qui s'annonce pour cet hiver, la chanson qui joignait remise en cause de l'école, vacances et politiciens! Je ne vous dis que cela...
RépondreSupprimerVous êtes bien chanceuse, Françoise, d'avoir encore votre maman. De mon côté, j'en suis réduite, depuis un bon moment, à "emprunter" celle des autres pour discuter ou demander à ce qu'on éclaire ma lanterne lorsque j'erre un peu trop dans la pénombre.
RépondreSupprimerBonne journée à vous aussi!
"On n'est pas sans séquelles la fille de pareille femme…"
RépondreSupprimerOn né, on est!
Voilà bien résumé ce qui fonde notre histoire. Plus que séquelles, je dirai que nous sommes le fruit de notre histoire.
Toutes ces petites choses de l'Autre, mère, père, s'inscrivent en nous et trament aussi ce que nous sommes.
"Sans racines, il n'y a pas d'ailes".
Votre billet témoigne de cette "matrice" qui nous fonde. Reconnaître le lien, comprendre, s'ancrer dans nos propres convictions, se détacher et libre construire son propre chemin, sans avoir peur de notre passé et sans qu'il soit une charge, voilà une belle aventure pour chacun d'entre nous.
Je vous embrasse Marie Josée, merci pour ce billet intimiste qui nous a permis de mieux vous connaître.
Permettez-moi, Maïa, ce jeu de mots un peu facile : s'ancrer ou s'encrer...
RépondreSupprimerJe me suis permis ce billet que vous qualifiez d'intimiste, car il me semble qu'au fur et à mesure qu'il s'éloigne, le passé individuel rejoint le passé collectif. C'est un peu ce que j'ai voulu souligner en situant l'histoire racontée et l'évolution de ma mère dans le cadre des changements qui ont bouleversé la société québécoise, longtemps repliée sur elle-même, depuis cinquante ans. Replacer les choses dans cette perspective plus large permet de mieux les comprendre et d'apaiser aussi certains regrets.
Portez-vous bien et à bientôt
Bonjour,
RépondreSupprimerVotre billet m'a beaucoup touché. Ma mère aussi portait une affection particulière à la Sainte Vierge et elle avait une petite statuette à qui elle parlait souvent. Quand nous étions enfants, elle nous disait de toujours nous adresser à la Sainte Vierge parce que le Bon Dieu était trop occupé et souvent il n'entendait pas nos demandes. On avait plus de chance avec la Sainte Vierge.
Merci beaucoup.
Linda
Bonjour Linda et bienvenue!
RépondreSupprimerEnfin une Québécoise! J'ai beaucoup d'amitié pour mes lectrices européennes, mais je me demande pourquoi aussi peu de gens, de mon côté de l'Atlantique, semblent s'intéresser à cette forme de communication lorsque ce n'est pas dans le cadre de leurs activités professionnelles de journaliste!
Je suis bien contente que cette évocation vous ait plu! Je crois que la Vierge a une présence particulière chez nous. Elle est effectivement plus accessible, et notre société longtemps matriarcale se retrouve peut-être davantage en elle.
À bientôt!
Voilà! C'est fait! Je suis membre de ton blog!
RépondreSupprimerJ'aime ce notule. Mère aimante, aimable, aimée! Mère enseignante...telle mère, telle fille!
Mais dans quelle rangée se trouve-t-elle, cette jeune fille en blanc ?
J'ai aussi photographié ce vitrail de la salle Bourgie.
À tantôt !