Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






jeudi 15 septembre 2011

Les confitures

Compulsant le vieux recueil de dictées que je possède depuis presque quarante ans, j'y ai retrouvé un petit texte qui m'avait bien fait rire à l'époque où j'étais moi-même écolière. Il est un peu suranné, comme son auteur dont je viens d'ailleurs de découvrir la drôle de bouille en songeant à ce billet. Internet a parfois de ces mauvais côtés.  Ma lecture ancienne de la Chronique des Pasquier m'avait fait imaginer un vieux monsieur ressemblant un peu au père des Thibault, autre roman-fleuve de la même époque, que Roger Martin du Gard avait dessiné. Ce n'est pas tout à fait cela... Mais laissons donc l'homme dormir au milieu des pages virtuelles pour revenir à notre petit texte que je vous transcris pour le plaisir, car il me semble tout à fait de saison...

Le jour que nous reçûmes la visite de l'économiste, nous faisions justement nos confitures de cassis, de groseille et de framboise.

L'économiste, aussitôt, commença de m'expliquer avec toutes sortes de mots, de chiffres et de formules, que nous aurions le plus grand tort de faire nos confitures nous-mêmes, que c'était une coutume du Moyen Âge, que, vu le prix du sucre, du feu, des pots et surtout de notre temps, nous avions avantage à manger les bonnes conserves qui nous viennent des usines, que la question semblait tranchée, que bientôt personne au monde ne commettrait plus jamais pareille faute économique.

«Attendez, Monsieur! m'écriai-je. Le marchand me vendra-t-il ce que je tiens pour le meilleur et le principal?
- Quoi donc? fit l'économiste.
-Mais l'odeur, Monsieur, l'odeur! Respirez : la maison tout entière est embaumée. Comme le monde serait triste sans l'odeur des confitures!... Ici, Monsieur, nous faisons nos confitures uniquement pour le parfum. Le reste n'a pas d'importance. Quand les confitures sont faites, eh bien! Monsieur, nous les jetons.»

Le fantôme maternel, au-dessus du haut chaudron noir moucheté de blanc, cuisait aussi ses confitures de fraises pour que nous puissions en déguster la mousse d'un joli rose sur des tartines de pain bien épaisses, légèrement beurrées.

9 commentaires:

  1. Une vraie madeleine ce billet embaumant la confiture !
    Je me revois enfant, assise sur les marches de l'escalier descendant au jardin, armée d'un marteau cueilli sur l'établi de mon père afin de casser les noyaux des abricots fraîchement ouverts en deux que ma mère venait de mettre à cuire et qui étaient destinés à emplir des bocaux où ils vieilliraient doucement en compagnie de leurs amandes, ces amandes que pour l'heure j'extrayais patiemment de leurs coques en bois.
    Dans votre histoire, on se demande qui est le plus fou des deux. L'économiste ? ou bien le narrateur qui jette ses confitures un fois cuites !! Un conte qui rappelle Lewis Carroll, un peu.

    RépondreSupprimer
  2. Chère Tilia, je crois que le narrateur est surtout ironique et qu'il se paie doucement la tête de l'économiste, car sinon, comme vous le dites, ce serait vraiment trop bête!!!

    RépondreSupprimer
  3. P.S. Vous me parlez, comme Danielle, de vos confitures d'abricots, fruit dont je raffole, mais je n'ai jamais tenté d'en faire quoi que ce soit, car ayant eu le plaisir d'en manger une fois en Suisse, j'ai mesuré à quel point les fruits qui nous parviennent n'ont rien à voir avec ce qu'ils peuvent être plus près de leur origine...

    RépondreSupprimer
  4. Bien amusant billet.
    Pas loin de la réalité,même si chez Duhamel autant que je me souvienne elles sont tout de même mangées en souvenir de leur parfum
    Les gourmands sont aussi malicieux
    Je fais moi aussi des confitures pour l'odeur,pour le goût et il m'arrive parfois de les jeter car j'en confectionne plus que nous n'en mangeons!
    Nous pourrions de nos jours transposer cela aux livres numériques non?
    Bon dimanche

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour Françoise,

    Vous avez lu ces fables? Je n'ai que l'extrait cité dans mon recueil de dictées, et il faudra que j'attende un passage à la bibliothèque nationale, car ce livre doit être consulté sur place...

    Quant aux livres numériques, mes penchants de bibliophile m'en éloignent. J'ai d'ailleurs résolu d'écumer ma bibliothèque personnelle avant de faire de nouveaux achats. Il faut toutefois que je me tienne à distance respectueuse des librairies!

    RépondreSupprimer
  6. Non je n'ai pas lu ces fables mais un jour nous nous sommes arrêtés dans des chambres d'hôtes dans le Gers et dans notre chambre il y avait ce passage sous cadre
    J'ai fait des recherches sur internet et j'ai retrouvé cela se terminait ainsi

    "J’ai dit cela dans un grand mouvement lyrique et pour éblouir le savant. Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous mangeons nos confitures, en souvenir de leur parfum."

    Bonne journée

    RépondreSupprimer
  7. Merci de la précision, mais ne trouvez-vous pas la chute retenue par le recueil plus frappante même si elle tronque légèrement le texte de Duhamel?

    RépondreSupprimer
  8. Sautant de blog en blog, je découvre le vôtre avec un plaisir immense et j'y retrouve aussi des connaissances!
    Voilà donc une promenade que je ne manquerai pas de faire régulièrement.
    A très bientôt

    Les confitures

    « Niam ! Niam! »
    Les confitures
    qui nous damnent
    Les confitures
    Plein la figure
    C’est ça
    Les confitures

    Les confitures
    Ad vitam
    Les confitures
    Ad aeternam
    Les confitures
    Qui durent / qui durent /
    C’est pas
    Des confitures!

    (Andrée Chédid)

    RépondreSupprimer
  9. Bienvenue Maia et au plaisir de vous revoir.

    Le Cégep me laisse un peu de répit cette semaine et je prépare donc une publication pour bientôt... enfin! car j'ai été peu prolixe ces derniers temps!

    RépondreSupprimer

Vos commentaires et réflexions sont bienvenus en français, en anglais, en italien et en espagnol ;0)