Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






samedi 20 août 2011

Retour en classe



L'imminente rentrée me voit songeuse pour diverses raisons.

Je constate, évidemment, comme à chaque retour en classe, que je n'ai pas fait le quart du tiers de ce que j'avais projeté, même si je dois bien reconnaître que cet été tout domestique m'a permis de régler plusieurs petites choses qu'on laisse toujours traîner en attendant les grandes vacances puisque longues vacances il y a dans le monde de l'enseignement. Mais ce n'est pas cela qui retient le plus mon attention.
Au hasard de la réorganisation et de l'exploration de ma bibliothèque, je suis tombée sur un petit ouvrage pour enfants d'Anna Gavalda, déjà lu au moment de son achat, puis recouvert par le souvenir des lectures subséquentes d'autres livres qui avaient plus longuement retenues mon attention : 35 kilos d'espoir. Comme dans La Vie devant soi de Gary ou dans L'Amélanchier de Jacques Ferron, qu'il faudrait aussi relire, c'est un narrateur enfant qui nous raconte son histoire : Grégoire. Sa maîtresse de CP, Marie, la seule personne de l'Éducation nationale qu'il a aimée, dit de lui : «Ce garçon a une tête en forme de passoire, des doigts de fée et un cœur gros comme ça. On devrait pouvoir en faire quelque chose.» Avec pareils attributs, vous pouvez peut-être deviner ce que disent les premières phrases de cet ouvrage : «Je hais l'école. Je la hais plus que tout au monde. Et même plus que ça encore… Elle me pourrit la vie.»
Ce jeune Grégoire fait donc partie de la grande famille des cancres, celle du Bamban du Petit Chose de Daudet, tellement nul qu'il parvient à gâcher une simple page de bâtons, exercice préparatoire à l'apprentissage de l'écriture. Grégoire a pourtant, pour moi, un visage singulier.

À chaque rentrée, je me retrouve en effet en présence de grands garçons qui s'ennuient dans mes cours, à périr la bouche ouverte; ils le savent, je le sais; ils savent que je le sais, car ils ne cherchent même pas à dissimuler leurs bâillements, souvent fort peu discrets. Ce ne sont pas tous des Grégoire. Ils n'ont pas tous des doigts de fée et la bosse du bricolage, certes, et pourtant! Il me semble que plusieurs, parmi eux, seraient tellement plus heureux dans un atelier à apprendre quelque métier qui leur permette de s'activer plutôt que de passer de longues heures à attendre que le temps si précieux file.

Je sais. Mon commentaire est un tantinet réactionnaire et j'ajouterais même sexiste. J'aurais très bien pu parler aussi des filles qui s'embêtent en classe, mais elles sont moins nombreuses, me semble-t-il. Quant à la valorisation du travail manuel, à l'ère de l'informatisation et du surdéveloppement du secteur des services, peut-être y a-t-il beaucoup d'appelés et peu d'élus. Je constate cependant, lorsque je fais appel aux différents corps de métier dont j'ai besoin pour entretenir ma demeure, que l'électricien, le plombier, le maçon sont vieillissants et n'ont pas de relève. Ce sont pourtant de bons métiers, fort bien rémunérés… Cherchez l'erreur!

Je vais donc me retrouver lundi devant mes grands garçons endormis. Ils ont droit à Molière et à Zola… mais que retiendront-ils de ce que j'essaierai de leur raconter? S'ils étaient apprenti doreur et que quelque chantier de Versailles les appelle, Molière prendrait un autre sens. Point de Versailles au Québec et une industrie de la construction qui met de l'avant la rapidité plutôt que le travail bien fait. Bien sûr, je suis un vieux professeur et j'ai donc quelques tours dans mon sac pour réveiller, l'espace de quelques instants, leur attention. Un petit détour du côté de l'impressionnisme en utilisant le prétexte de la présence du peintre Claude Lantier dans Le Ventre de Paris. Et les histoires de vessies de porc qui servaient de réceptacles pour les couleurs avant l'invention des tubes en étain. Cela les accroche quelques minutes… Mais suis-je en train, ce faisant, de parler de littérature?

 Tilia pourra peut-être m'aider pour ma conclusion. Il y a quelques années, en 2003, j'avais vu une exposition au Musée national des Beaux-Arts d'Ottawa consacrée à Watteau, Boucher et Fragonard et à quelques autres peintres de scènes de genre au XVIIIe siècle. J'étais restée en contemplation devant deux tableaux montrant des enfants, une sorte de diptyque : d'un côté, des enfants aisés qui semblaient s'ennuyer ferme auprès de leur précepteur et de l'autre, des apprentis, tout aussi jeunes, mais beaucoup plus alertes qui s'essayaient à répéter les gestes proposés par le maître. Malgré le fait que j'enseigne depuis presque trente ans si je tiens compte de mes premières supervisions d'élèves de troisième alors que j'étais en terminale et de l'accompagnement des Boat people arrivés au Québec au début des années quatre-vingt, je ne suis toujours pas certaine que l'école pour tous avec ce qu'elle implique comme structure soit la meilleure des choses. Ayant une phobie assez marquée pour la position assise, je comprends tout à fait mes élèves d'avoir envie de bouger. La formule italienne, avec les cours pendant la seule matinée, me semble bienvenue quoiqu'elle implique des mamans à la maison pour recevoir les enfants à mezzogiorno… Quadrature du cercle. Et l'évolution de la société ne nous achemine guère vers une revalorisation du travail manuel hormis celui qui consiste à taper sur les touches d'un clavier. Il est bien perdu l'équilibre qui conduisait Churchill à faire alterner quelques pages d'écriture avec un rang de briques bien posées, ajustées avec un petit coup de truelle et un peu de mortier!

site où se trouve cette photo

À défaut de pouvoir réinventer Summerhill, il me faudra donc reprendre le chemin de l'école ce lundi!


P.S. Le petit livre d'Anna Gavalda m'a servi de prétexte, mais il mérite mieux. À travers les yeux de Grégoire, on découvre sa famille et l'impact que ses difficultés scolaires provoquent. Ses parents, découragés et éprouvant certaines difficultés dans leur couple, n'aident guère leur fils unique dans son parcours. Heureusement que son ingénieur de grand-père, Léon, saura trouver les mots qui aideront Grégoire à faire un bout de chemin. Ce rapport entre l'aïeul et le petit-fils est très beau et mérite qu'on s'y attarde. À vrai dire, ce livre de Gavalda pourrait servir d'amorce pour sortir un peu du dialogue de sourds qui s'instaure parfois entre parents et enfants ou même entre enseignants et étudiants, car celui qui enseigne occupe le plus souvent ce poste parce qu'il réussissait bien dans les matières académiques et il lui est donc parfois difficile de se couler dans la peau d'un «mauvais» élève et de voir le monde de son point de vue…

9 commentaires:

  1. Je vous trouve restrictive avec Grégoire qui a tout de même inventé une machine à éplucher les bananes!
    Je plaisante,ce qui manque peut-être à vos élèves c'est un Léon qui les aide à se surpasser afin de réaliser leur rêve
    Mais ont-ils un rêve?
    L'école pour tous a tout de même été instaurée pour sortir de l'ignorance et de la misère l'ignorance c'est ce qu'il restera à vos élèves et je ne pense pas que cela les gênera, ,la misère ils ne la connaîtront certainement pas savent-ils qu'il existe des pays où les enfants travaillent au lieu d'aller à l'école?
    Je vous souhaite tout de même une bonne rentrée même si je le crains vous allez vous ennuyer ferme vous aussi

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  2. Quelle beau billet sur un sujet qui me tient à cœur ! Je vous rejoins tout à fait à propos de l'artisanat. Pour que le monde aille mieux, il faudrait qu'il retrouve ses lettres de noblesse.

    Or, l'humain est ainsi fait qu'il n'a de cesse de toujours vouloir améliorer sa condition dans la société, si ce n'est pour lui même, du moins pour ses enfants. L'époque où un père transmettait son savoir professionnel, l'expérience de toute une vie, à son fils qui reprenait le flambeau, cette époque là est révolue. L'artisan, le paysan, s'il arrive encore à subsister malgré le peu de considération dont il est l'objet de la part des gouvernants et de la société, n'a plus qu'une idée pour sa descendance : lui donner la possibilité de trouver une meilleure voie par le biais des études supérieures. Ce qui amène ici des Bac+5 à se retrouver caissiers ou manutentionnaires dans un hyper marché.

    Pour le tableau dont vous parlez, je vais rechercher. En attendant je vous propose celui-ci qui représente une "classe manuelle" au XIXe siècle…

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  3. Merci Marie-Josée je me suis régalée avec ton très beau billet, je n'entrerais pas dans le vif de ton sujet, car ça fait bien 30 ans que moi aussi,j'entends la même petite musique de l'ennui...

    Je ne connais pas la solution... Mais ce que je sais c'est qu'il faut bien trente ans de réflexion pour changer les choses, donc attendons encore un peu que ça change.

    Bonne rentrée, bons élèves, et surtout continue de nous enchanter...

    Bises du soir

    Danielle

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  4. PS J'adore ta photo...

    re-bises du soir.

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  5. Excusez le retard, mesdames, rentrée oblige!

    Vous savez, Françoise, - puis-je me permettre de vous appeler ainsi?- au bout du compte, je ne m'ennuie pas tant que cela en classe. Comme un acteur qui pose le pied sur une scène, je m'anime presque toujours lorsque je me retrouve devant un groupe. C'est devenu une seconde nature et les quelques sourires que j'ai vus apparaître, ces deux derniers jours, sur certains visages laissent présager que mon humour pince-sans-rire saura rejoindre quelques-uns de mes étudiants...Et puis, il y a les élèves des années antérieures, comme mes élèves camerounaises que Tilia connaît et qui viennent me voir depuis trois ans déjà pour le plaisir de placoter ou pour faire corriger un devoir dont elles ne sont pas certaines. Elles sont un peu plus âgées que les autres étudiants et elles savent fort bien la valeur de l'école et s'y appliquent du mieux qu'elles peuvent lorsque mari et enfants leur en laissent le loisir. Il m'arrive de souligner que l'école est un privilège auquel bien des enfants n'ont pas droit et j'ajoute qu'au début des années soixante, je n'aurais pu enseigner dans le Collège où je me trouve aujourd'hui puisqu'il s'agissait d'un collège classique destiné aux garçons et dirigé par les religieux de Ste-Crois auquel une toute petite partie de la population masculine avait accès... Cela frappe tout de même un peu les imaginations. Il faudrait que j'explique un jour l'histoire récente du système d'éducation au Québec...

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  6. Merci, Tilia, pour ce joli tableau de la Bretagne que j'aime tant! Surtout le Morbihan et la presqu'île de Quiberon. Les petites bretonnes en coiffe se concentrent bien sur leur travail et semblent y prendre plaisir tout en en tirant profit. Y a-t-il une différence entre artisanat et métier? Il faudrait que je fasse une de ces recherches étymologiques dont vous nous régalez parfois dans vos billets... Dorénavant, l'artisanat est surtout renvoyé du côté du loisir. J'avais une tante tisserande qui habitait juste en face de la maison où je vis toujours et elle en a fait sa profession puisqu'elle a ouvert un atelier où elle enseignait. Mais, les mains, très habiles pour composer des messages sur les téléphones intelligents, considèrent dorénavant que le travail manuel n'est qu'une sorte d'activité folklorique à laquelle elles ne daigneront jamais s'abaisser. Je suis d'accord avec votre analyse, et ce sont souvent effectivement les parents qui incitent leurs enfants à poursuivre des études au Cégep ou à l'université. Plusieurs, lorsqu'ils ne sont pas pris à la gorge par l'hypothèque et le collège privé des enfants, retrouvent, en avançant en âge, ce qui leur faisait vraiment plaisir et qui n'avait rien à voir avec la profession apparemment choisie et pourtant détestée...Rares sont ceux qui parviennent, comme Churchill, à équilibrer travail manuel et intellectuel. Mon collègue d'en face, au collège, était philosophe et ébéniste. Voilà un homme complet qui semblait d'ailleurs particulièrement heureux!

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  7. Merci, Danielle, pour ton commentaire et pour ton compliment au sujet de la photo. J'y ai réuni mes «instruments» de travail, car j'écris à la plume-fontaine depuis presque quarante ans maintenant et mes Waterman me sont aussi indispensables que l'étaient mes besicles anciennes que j'ai dû abandonner avec l'arrivée de la presbytie, car elles sont trop délicates pour que je leur impose un nouveau changment de lentilles. Quant à la petite boîte dont on ne voit pas le titre, il faudra que j'en fasse le sujet d'un billet sur le «Bon parler français». C'est une rareté que mes tantes ont retrouvée dans leurs affaires et chaque carte présente une expression québécoise et sa correction. J'ai bien ri en en lisant quelques-unes et il faudra que je vous les fasse découvrir, peut-être dans un nouvelle réflexion de l'ânesse ;0)

    En attendant, portez-vous bien toutes les trois et au plaisir de vous lire bientôt ici ou dans vos blogs respectifs!

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  8. J'espère qu'Irène n'a pas fait de dégâts chez vous et je vous souhaite une très bonne rentrée.

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  9. Merci Tilia! Il n'y a pas eu de morts au Québec contrairement à ce qui s'est passé dans certains états américains, mais j'ai découvert une nouvelle entrée d'eau au sous-sol : une cheminée qu'il faudra condamner! Quant à la rentrée, j'aime ma profession, mais je suis lasse plus rapidement qu'avant...On s'en reparle!

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