Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






samedi 26 mars 2011

L'encre du passé

Les réactions, à l'endroit de la bande dessinée, sont assez radicales : on adore ou on exècre, ce clivage suivant souvent une ligne de partage des âges comme si l'entrée dans le monde adulte signait l'arrêt de mort du «plaisir gratuit» -entendre sans bénéfice intellectuel - qui s'attache à la lecture des histoires en images.

Étant plutôt réfractaire aux limites et aux frontières, j'aime assez que se côtoient, sur ma table de travail, Gen d'Hiroshima, Du côté de chez Swann et The Shallows de Nicholas Carr.  Depuis quelques années, je donne même dans le prosélytisme et m'applique à trouver, pour chaque lecteur récalcitrant, LA Bande dessinée qui lui ouvrira la porte de cet univers infiniment divers et luxuriant.

Les événements tragiques récemment survenus au Japon m'ont incitée à ressortir de ma «bédéthèque» les mangas que je possède.  Les mangakas sont prolifiques et leur art pénètre lentement mais sûrement en Occident bien que nous n'ayons encore accès qu'à une infime portion de ce qui se publie au Japon.

Mais plutôt que d'aborder aujourd'hui l'oeuvre de Taniguchi ou celle de Nakazawa, j'aimerais attirer l'attention sur un album que deux occidentaux ont consacré, en 2009, au Japon de l'ère Edo : L'encre du passé de Maël et Bauza.

Comme l'indique le petit dossier que l'on peut télécharger à partir du site des éditions Dupuis, c'est la passion d'Antoine Bauza pour le Japon qui est à l'origine du projet.  Adepte de la calligraphie, Bauza voulait mettre en scène«un homme d'art plutôt qu'un homme d'épée», délaissant ainsi la figure du samouraï, image d'Épinal de la culture nippone.  Il a donc centré son scénario sur la figure d'un maître calligraphe, Môhitsu, qui, voulant faire rafraîchir son hakama, sorte de pantalon assez ample, découvre, à la faveur de sa visite à la teinturerie, une jeune fille au prometteur talent de peintre.  Môhitsu convaincra alors la jeune Atsuko de délaisser son emploi pour entreprendre son apprentissage auprès d'un grand peintre d'Edo.


J'arrêterai là le résumé d'une histoire qui mérite d'être lue et savourée, le dessin de Maël donnant une vie attachante à ces personnages.  Sur une base d'aquarelle aux teintes douces empruntées à la palette des tons d'ocre et de gris bleutés, Maël définit paysages et personnages à la plume, utilisant cette encre noire dans laquelle trempe également le pinceau de Môhitsu le calligraphe.  Les kanjis sont toutefois du maître Pascal Krieger.

Malgré les doutes qui assaillent tour à tour Môhitsu et Atsuko devant leur art respectif, je reviens périodiquement à cet album que je trouve apaisant par ses couleurs et ses mises en scène de paysages silencieux.

L'encre du passé me semble aussi témoigner de valeurs associées à la culture japonaise : le minimalisme, voire le dépouillement des pièces dans lesqueslles évoluent les personnages, dépouillement renvoyant à la recherche de l'essentiel; le respect et la civilité des échanges comme dans cette scène où Môhitsu rend visite à dame Akemi; la recherche, enfin, avec constance et détermination, de la perfection du moindre geste, fût-il le plus quotidien...

Au moment de la Seconde Guerre mondiale, les décideurs de l'Occident ont mis de l'avant la violence de la détermination de ce peuple, seul groupe humain contre lequel on a déchaîné la puissance nucléaire qui le menace à nouveau pour d'autres raisons.  Soixante-cinq ans plus tard, alors que tous déplorent les catastrophes successives qui frappent les Japonais, souhaitons que cette opiniâtreté ne les abandonne pas et qu'ils soient ainsi à même de puiser dans leur culture séculaire les ressources nécessaires pour continuer.
 

3 commentaires:

  1. D'accord, d'accord, Marie-Josée je vais aller voir cet album à la Fnac, je m'en réjouis d'avance... Affaire à suivre...Comme toi je souhaite que les Japonais trouvent des ressources dans leur culture séculaire et aussi dans des ressources techniques qui leur permettent de survivre à la catastrophe d'aujourd'hui...

    Bises du jour.

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  2. J'espère que je ferai mouche avec cette suggestion! Dans le cas contraire, ne te décourage pas. Tout professeur de littérature que je sois, j'avoue choisir mes albums en fonction du style... du dessin. Certains me rebutent donc malgré leur intérêt...Il faut privilégier le plaisir des yeux.

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  3. je pense avoir fait une faute dans votre prénom, je m'en excuse...

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