Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






mardi 3 janvier 2012

J’ai vu Tintin!!! (1)

Publicité de Casterman pour la publication de l'album du film

En guise de prémisse

Mettons tout d'abord cartes sur table : je suis une Tintinophile finie depuis plus de quarante-cinq ans maintenant, c'est-à-dire que j'ai eu mes premiers albums de Tintin avant même de savoir lire et que je côtoie quotidiennement depuis l'univers de Georges Rémi.  Je peux donc dire, à l'instar d'un des biographes d'Hergé, Benoît Peeters, que «mon intérêt pour Tintin est presque aussi vieux que moi.» (Hergé fils de Tintin, Coll. Champs, Flammarion, p. 11)

Cependant, jusqu'à mardi dernier, mon amour était essentiellement livresque : je n'avais jamais vraiment accroché aux adaptations télévisuelles ou cinématographiques, qu'elles aient été réalisées avec des comédiens ou sous forme de dessins animés. J'attendais donc Spielberg de pied ferme. Et le mardi 3 janvier, je suis tombée sous le charme.  J'étais assise au milieu d'une rangée de petits garçons de six ou sept ans qui disparaissaient derrière leurs lunettes noires et leur immense «popcorn» et, si j'excepte le maïs soufflé inondé de beurre, je «cadrais tout à fait dans le portrait», poussant des «oh!» et des «ah!» autant sinon plus que mes petits voisins.  Avec un peu de recul, je peux maintenant mieux saisir ce qui m'a tellement émerveillée dans ce film qui demeure toutefois très différent du rendu des albums d'Hergé tout en en respectant parfaitement, à mon avis, l'esprit.

Des cinéastes respectueux

Steven Spielberg et son acolyte néo-zélandais, Peter Jackson, se sont en effet approprié la «substantifique moelle» de l'oeuvre pour la refondre dans leur propre creuset et, surtout, selon les façons de faire de notre époque.
L'écoute des suppléments qui agrémenteront très certainement le DVD à venir répondra peut-être à certaines de mes questions.  Par exemple, comment le travail s'est-il réparti entre les deux compères? Car il faut bien comprendre qu'une oeuvre comme Les Aventures de Tintin en 3D constitue une entreprise de longue haleine qui s'étale sur plusieurs années et qui implique de nombreux intervenants qui sont en interaction constante et qui ont un effet les uns sur les autres. La vision de Spielberg, fasciné par sa découverte tardive de Tintin en 1982, s'est incarnée à travers les instruments favoris de Jackson qui a requis les services de l'équipe de
WETA Digital, compagnie avec laquelle il avait déjà travaillé pour la trilogie du Seigneur des anneaux, puisque ce sont les informaticiens/dessinateurs de WETA qui ont animé le personnage de Gollum en utilisant la même technologie que celle qui est utilisée pour Les Aventures de Tintin.   
 
Pour revenir à la question du respect de l'oeuvre, je pense à deux choses : d'une part, l'attention particulière accordée à l'élaboration des personnages et, d'autre part,  la reprise de séquences entières empruntées aux trois albums qui ont été utilisés pour l'élaboration de ce premier film soit Le crabe aux pinces d'or, Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le rouge. 





Les personnages

Tintin, Milou et le capitaine Haddock sont les trois personnages principaux de l'oeuvre d'Hergé et c'est donc à eux que l'on a accordé préséance.  Comme les amoureux de la Commedia dell'arte qui ne portent pas de masque, car les artisans qui les fabriquaient prétendaient qu'il n'était pas possible de représenter le sentiment amoureux, Tintin est le seul des personnages que l'on pourrait croiser dans la rue sans être surpris de son apparence.  Dans le système des personnages d'Hergé, il est aussi assez singulier puisque son faciès tout rond qui s'est petit à petite ovalisé tout au long de son histoire, ne présente pas le même nez que ceux des autres personnages masculins.  Dans le film de Spielberg, et c'est une de mes petites réserves, tous les personnages à l'exception, donc, de Tintin, affichent une certaine disproportion du corps par rapport à la tête qui lorgne du côté de la caricature.  Même le capitaine Haddock. Ce n'est pourtant pas le cas dans les albums.  Par contre, les actions et comportements des personnages et ce que nous savons de leur «psychologie» même s'il est un peu abusif d'utiliser ce terme dans le cadre des oeuvres d'Hergé, sont parfaitement respectés par Spielberg.  

Les séquences narratives

Quant aux séquences narratives qui composent les trois albums déjà mentionnés, elles ont été conservées en grande partie, mais remontées dans un autre ordre que celui que l'on retrouve en lisant d'affilée les bandes dessinées.  Ainsi a-t-on débuté par les premières planches de la Licorne, mais il a fallu introduire, un peu plus tard, plusieurs épisodes empruntés à l'album du Crabe aux pinces d'or pour pouvoir raconter comment le capitaine Haddock et Tintin en sont venus à se rencontrer.

Rares donc sont les séquences créées de toutes pièces.  C'est malheureusement le cas de l'affrontement presque final qui s'éternise entre le capitaine Haddock et le «bad guy» de service que l'on a développé à partir d'un des personnages secondaires du Secret de la Licorne.  On sent ici un peu de la complaisance qui animait déjà l'équipe productrice des effets spéciaux des grandes batailles du Seigneur des anneaux.  Je ne développe pas plus pour le moment, espérant que mon billet vous incitera à aller voir le film si ce n'est déjà fait. La présence de ce méchant de service a permis d'accentuer le côté manichéen souvent présent dans les films à l'américaine. Dans l'album, les ennemis de Tintin qui cherchaient à s'emparer des parchemins permettant de connaître la route qui les conduirait au trésor n'apparaissent qu'à la toute fin même s'ils se manifestent par leurs agissements, comme l'assassinat de l'homme au complet bleu venu avertir le héros du danger inhérent à sa quête.


Un second billet portera sur ce qui éloigne le film des albums, ce qui me permettra d'introduire quelques remarques sur les particularités du dessin d'Hergé dont il ne faut pas oublier qu'il s'est éteint en 1983, il y a donc presque trente ans maintenant.

7 commentaires:

  1. Bonjour Marie Josée,

    Merci pour ce billet. J'ai tout lu et tout entendu sur ce film, que je n'ai hélas pas encore vu (beaucoup de travail cet Automne), il a pourtant fait grand bruit... Un taxi m'a dit qu'il ne valait pas le déplacement, un ami m'a dit le contraire après avoir emmené sont fils de 10 ans, il est revenu totalement enchanté. Je suis de votre avis, je lis d'abord les oeuvres adaptées, car on ne peut pas mettre en 2H 45, au plus, un livre entier, les scénaristes laissent des evénements et des personnages de coté, au détriment du film parfois. Ou bien, la "sauce Hollywwodienne" cuisine un "galimatias", généralement bien ficelé, mais qui repecte peu la chronologie, la rectitude et la richesse du livre. Nous sommes d'accord, le cinéma n'est pas de la littérature, bien sur on peut dire avec des images mille impressions, mais on ne "vit" pas l'oeuvre de la même manière et le livre reste mon support préféré. Je vous sens séduite par ce film, je vais me laisser tenter...
    (Oui j'ai remarqué sur les photos et bandes annonces cette disproportion des têtes par rapport aux corps...C'est peu esthétique, quelle idée ! lol)
    Mon Tintin préféré était "Les Bijoux de la Castafiore"...
    Belle fin de journée Marie Josée,
    A très vite pour la suite...

    Nathanaëlle

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  2. Enfant, j'ai lu tous les albums de Tintin et je les ai tous "dévorés". Tintin et le Lotus Bleu était l'un de mes préférés.

    Concernant le film dont vous parlez, comme Nathanaëlle, en voyant les photos du film, j'ai tout de suite remarqué la disproportion grotesque des nez du capitaine et des Dupont-Dupond. La bande-annonce et les extraits ont confirmé ma première impression, la caricature est trop prononcée et les effets spéciaux rangent le film dans la catégorie des Indiana Jones, ce qui à mon sens n'est pas conforme à ce que l'on pourrait attendre d'une animation en 3D de l'univers des bandes dessinées de Hergé.

    Ceci dit Marie-Josée, loin de moi l'idée de tempérer votre enthousiasme. Le film est certainement excellent pour les personnes qui apprécient ce genre d'adaptation.
    Cependant, je continuerai à préférer la version cinématographique des années soixante avec Jean-Pierre Talbot, parfait dans le rôle de Tintin.

    Pour conclure, je pense que l'adaptation au cinéma d'une bande dessinée (fut-ce en 3D) est assez périlleuse, car les acteurs (ou les avatars numérique des personnages) se doivent d'être physiquement très ressemblants. Un inconvénient qui ne se posait pas pour l'adaptation de la série Harry Potter. C'est l'avantage avec les romans, puisque les personnages n'y sont pas représentés en images.

    Bonne fin de semaine, Marie-Josée et à bientôt, je ne manquerai pas de lire avec intérêt votre second billet sur ce film.

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  3. Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet que j'ai hésité à publier, le trouvant peut-être un peu long...

    Je pense qu'il faut aller voir le film, dans la mesure du possible, sans a priori, ce qui n'est pas une mince affaire compte tenu de l'importance du personnage de Tintin entre autres pour les cultures francophones.

    Ce qui m'a fascinée et c'est ce sur quoi portera le second billet, ce sont les apports visuels qu'a permis le cinéma en 3D. Cela en met plein la vue, c'est vrai, mais c'est un médium qui en est à ses débuts, et je crois qu'il ne faut pas écarter du revers de la main en jetant le bébé avec l'eau du bain si je puis dire.

    Pour vous qui vous intéressez à la peinture et probablement à l'image sous toutes ses formes, il me semble que ce film présentera de l'intérêt ne serait-ce que par la beauté de certaines de ses plans.

    Bonne fin de semaine.

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  4. Bonjour Tilia,

    Si je vous comprends bien, vous n'êtes pas allée voir ce film, car la représentation faite des personnages sur les affiches et autres bandes-annonces ne vous a pas convaincue?

    Malgré mes réserves similaires aux vôtres concernant la représentation des personnages secondaires, je n'ai pas regretté mon expérience. Comme je le disais plus haut à Nathanaëlle, le cinéma en 3D en est à ses débuts. Les équipes techniques qui s'y adonnent sont essentiellement composées d'hommes, et j'ai parfois l'impression qu'ils se laissent prendre à leur jeu et en mettent trop. C'est le cas dans certaines scènes du film, mais pas dans toutes et si le public américain répond bien et qu'il y a une suite, peut-être aurons-nous un meilleur équilibre dans les films subséquents.

    Je crois, en tout cas, qu'il y a un avenir pour le 3D et pour de nouvelles adaptations de Tintin. Il faudra simplement vivre assez vieilles pour laisser à cette technique le temps d'évoluer.

    C'est la grâce que je nous souhaite ;0)

    Bonne fin de semaine à vous

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  5. Bonjour Marie-Josée,
    La lecture de votre billet sur l'adaptation cinématographique en 3D d'une aventure (manière de refonte des deux du cycle "Le Secret de la Licorne" & "Le Trésor de Rackam Lerouge" et l'adjonction de flashback de "Les Cigares du Pharaon" de Tintin m'a particulièrement captivée.
    Tout comme vous, je suis une "fan finie" comme disent les jeunes de l'oeuvre majeure d'Hergé. J'ai tous les "Tintin" (enfin, on s'entend, ceux écrits par Hergé. Je ne me procurerai jamais les autres, dont on a fait des albums illustrés de photos de scènes choisies lors du tournage des fausses aventures de Tintin, celles qu'il n'a jamais écrites.
    Je ne referai pas sa biographie, il y en a des dizaines et des dizaines sur le marché.
    Vous titillez ma curiosité. Soit que j'irai le voir en salle, soit que j'achèterai le dvd en format blue ray (pour mon lecteur) dès que disponible sur le marché, pour me faire ma propre opinion.
    J'aime beaucoup votre façon de vous décrire comme spectatrice du film, en train de vous laisser gagner, comme les tout jeunes qui vous entouraient, par l'histoire que vous connaissiez, mais surtout charmer par l'approche des deux scénaristes et réalisateurs.
    Certes des petits défauts comme l'exagération de certains traits physiques et des disproportions corps & tête seront corrigés si des critiques assez nombreuses leur sont adressées. Je ne peux en faire, n'ayant pas vu le film, mais il me tarde déjà de le voir.
    Merci de ce très beau billet. J'ai hâte de lire la suite.

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  6. Bonjour et bienvenue Esther,

    Je vous incite à voir le film sur grand écran. Il doit bien être présenté quelque part dans la région du lac St-Jean! Il y a des scènes dont vous ne retrouverez pas l'ampleur sur votre écran, même s'il fait 60 pouces!!! Une amie libanaise est allée voir ce film sur mes conseils et elle a été particulièrement happée par la scène de l'arrivée à Bagghar. C'est plutôt dans Le Crabe aux pinces d'or que l'on a pris les scènes de la renconte entre Tintin et la capitaine Haddock et leur traversée du désert.

    J'ai hâte de pouvoir rédiger mon second billet, mais le dernier chapitre d'un ouvrage que je suis en train de réviser vient de m'arriver en fin d'après-midi, hier, et je dois terminer ce travail assez rapidement. Je vous demanderai donc quelque patience.

    À bientôt

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  7. Mais tu es convaincante ma parole, tu me donnes envie d'y aller. POurtant, tintinophile aussi j'étais plutôt méfiante. Par contre je t'avoue que la 3D, que je n'ai jamais essayée, ne m'attire vraiment pas du tout !

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