Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






samedi 25 février 2012

Petit questionnaire d'AnnaLivia (1)

Moi qui parlais du questionnaire de Proust la semaine dernière...

Vous connaissez toutes le principe du tag sur les blogs.  Je l'ai, personnellement, découvert récemment.

Mon petit côté, mon grand côté rebelle devrais-je dire, s'oppose un tantinet à ce genre de chose.  Par contre, par déformation professionnelle, il m'est difficile de ne pas répondre à une question posée.  Je couperai donc la poire en deux et répondrai à l'invite d'AnnaLivia, mais sans relayer cette invitation à onze autres personnes.  J'espère que tu  ne m'en voudras pas.  Si d'aventure quelqu'un a envie de poursuivre cette chaîne, qu'il soit le bienvenu...


Mon tableau préféré :

Est-il possible de répondre à pareille question? il faudrait préciser le Musée, la ville, le genre aussi.  Sans compter le fait qu'ayant vu la plupart des tableaux sous forme de reproduction, puis-je avoir une idée juste de ce que j'aimerai au moment où je verrai l'original et ne dirai-je pas, comme le narrateur devant madame de Guermantes : «C'est cela? ce n'est que cela madame de Guermantes?» la particularité du travail de l'imagination, chez lui, l'amenant toutefois à se recomposer presque aussitôt une image mentale pour mieux dénier la réalité qu'il a sous les yeux, le tout s'appuyant, dans le cas précité, sur un simple sourire anonyme de la duchesse dans l'église de Combray.

Mais cela ne résout pas mon problème.  Disons que je choisirai un tableau auquel je vais toujours rendre visite lorsque je vais au Musée des Beaux-Arts de Montréal : le tableau d'Emmanuel de Witte.



Je commencerai, la semaine prochaine, une série sur les oeuvres du Musée des Beaux-Arts de Montréal, la grève estudiantine me permettant enfin d'avoir accès aux archives qui sont rarement ouvertes.  Il faudra toutefois un certain temps avant que je ne vous parle de ce peintre hollandais, car j'entends débuter par les tableaux d'artistes canadiens, moins bien représentés, me semble-t-il, dans les bases de données et dans les billets de nos spécialistes en peinture : Alba, Nathanaëlle et Tilia.

Disons, pour le moment, que le calme de cette scène, le jeu de lumière à la Vermeer, mais venant de la direction opposée à celle que l'on retrouve chez le peintre du petit pan de mur jaune, et la perspective qui nous invite à entrer pour écouter la joueuse d'épinette sont autant d'éléments de réjouissance pour l'oeil dans cette oeuvre qui s'intitule justement Intérieur avec une femme jouant de l'épinette.

Votre poète préféré :

Chère AnnaLivia, tu connais mon goût des méandres et des digressions pour les avoir subis en classe pendant toute une session.  Tu vois, je crois que j'aurai de la difficulté à répondre à cette question.  J'ai un handicap face à la poésie... Un peu comme les oeuvres pour piano qu'il me faut mémoriser pour vraiment les apprécier, je n'aime que les poèmes que je peux apprendre par coeur, ce qui réduit un tantinet mes lectures et découvertes dans le domaine, tu en conviendras.  Je pourrais contourner la difficulté en te disant que j'opterai plutôt pour un romancier qu'il ne me semble pas avoir besoin de nommer, mais je cesserai, pour une seconde, d'être mauvaise élève et je te dirai que, du côté québécois à tout le moins, je reviens souvent à quelques textes de St-Denys-Garneau et en particulier à celui-ci : 

Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise
Et mon pire malaise est un fauteuil où l'on reste
Immanquablement je m'endors et j'y meurs.

Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l'équilibre impondérable entre les deux
C'est là sans appui que je me repose.

Certes, ce n'est pas l'économie des vers de Racine, tellement beaux dans leur sobriété. Ou la fulgurance d'un vers de René Char qui suffit à peupler une journée... il y a cependant, dans l'oeuvre de St-Denys-Garneau un mal-être qui fait écho à celui de sa génération de créateurs canadiens-français et, pour cela, je m'y retrouve.

Votre livre préféré : 

Je ne voudrais pas être redondante en citant à nouveau Proust.  J'hésite donc entre deux oeuvres : Les Thibault de Roger Martin du Gard et L'Ultime Alliance de Pierre Billon.



On ne se lasse pas de la lecture de Proust, pour mille et une raisons. J'en sélectionnerai une, la plus évidente peut-être : la richesse de l'expression.

Dans le cas de Martin du Gard et de Billon, ce sont surtout de superbes raconteurs d'histoires.  Ici, pas d'effets de toge, si je puis dire, le style disparaît devant le récit qu'on ne peut plus lâcher.

Une gourmandise qui vous fait plaisir : 

Je surprendrai Françoise à laquelle je rappelle, de temps en temps, mon végétarisme naissant, mais pas AnnaLivia qui m'a déjà invitée pour ce festin cannibale : une fois par an, je mange un vrai tartare de boeuf avec des frites! Je suis une adepte du cru, mais ce sont le plus souvent les poissons qui ont ma faveur, mais le tartare...MIAM!!!

Une ville où vous aimeriez vivre : 

J'espère que je ne serai pas bannie pour toujours et à jamais par mes copinautes comme dit Michelaise, mais j’avoue que, bien que je me languisse de Paris et que les vacances italiennes sont toujours bienvenues, j'élirai probablement plus volontiers domicile, parmi les villes que je connais s'entend, à New York!  Pour Central Park, pour la richesse des musées et pour la folie de cette ville survivante devenue plus aimable après septembre 2001.



Je prendrai encore une autre liberté avec les règles du jeu en vous revenant à un autre moment pour la suite... Sans rancune, AnnaLivia!

Bonne semaine!

P.S. Ma déformation pédagogique me souffle qu'il aurait peut-être été intéressant de savoir si qui est représenté sur la dernière mosaïque : 

sur la ligne du haut : l'Empire State Building pendant les vacances de Noël; Central Station; un détail du Balzac de Rodin; une des petites silhouettes ornant la station de métro Prince Street;

sur la ligne du bas : ma pomme devant Times Square; un détail d'une toile de Bruegel; le détail d'une des fresques du Chrysler Building; le portrait de Gertrude Stein par Picasso et, juste au-dessus, un détail d'une toile de Klimt. 






dimanche 19 février 2012

Le fanatisme inversé




Comme plusieurs personnes se sont récemment intéressées à Proust, j'avais entrepris, hier, de répondre à son célèbre questionnaire, mais j'ai laissé ce texte dans mes archives, car il mettait trop de l'avant le «moi haïssable» de Pascal, et mon égotisme n'est peut-être pas encore assez développé...

L'une des questions me servira tout de même d'amorce : celle qui concerne le héros favori dans le monde de la fiction.  Proust avait répondu : «Hamlet», mais, de mon côté, j'optai, dans un premier temps, pour un détective célèbre : le «Poirot» d'Agatha Christie, tout particulièrement dans l’interprétation qu'en donne le comédien britannique David Suchet. Mais, mon cerveau fonctionnant mieux lorsqu'il se meut, j'ai eu une révélation tardive en faisant sortir le grand chien au milieu de la nuit :  mon compagnonnage avec l'Alceste de Molière est beaucoup plus ancien, ma perception du personnage ayant toutefois évolué au fur et à mesure que je vieillissais.

Si j'ai, petit à petit, appris à contrôler, contrairement à Alceste, mes colères hyperboliques, souscrivant désormais à la maxime de Philinte selon laquelle

«la parfaite raison fuit toute extrémité
et veut que l'on soit sage avec sobriété»,

il existe encore des situations qui me font violemment réagir et considérer la fuite dans le désert à l'instar du Misanthrope.


Le Québec que nous connaissons aujourd'hui a été rendu possible par les mutations engendrées par la Révolution tranquille amorcée au début des années soixante dans la foulée de la mort du premier ministre conservateur, Maurice Duplessis.  Comme je suis née en 1961, à la campagne qui plus est, j'ai connu ce qui traînait encore de la période précédente, marquée par l'omniprésence de la religion catholique dans tous les domaines de la vie publique ou privée.

Si je suis aujourd'hui athée, j'ai tout de même été baptisée et j'ai fait ma première communion tout en blanc comme la plupart des Québécois de ma génération.  La petite Bible de poche volée par ma mère, avec le consentement amusé de celui-ci, au prêtre qui avait célébré son mariage, l'abbé Champagne, est toujours sur ma table de chevet, et cela ne me semble pas étrange, puisqu'il s'agit d'un fabuleux recueil d'histoires ayant marqué la culture occidentale pendant presque deux millénaires.  J'ajouterai que, si l'on exclut l'idée de croyance, les valeurs que véhicule l'Évangile me semblent tout à fait acceptables.  Ce que l'Église et ses papes successifs en ont fait, c'est autre chose.   Je considère donc l'attitude précédemment décrite comme empreinte de tolérance, éclairée et respectueuse, et il ne me viendrait pas à l'idée de dire à mes tantes qui ont presque quatre-vingts ans qu'elles sont un peu crétines d'aller encore à la messe et de croire en Dieu.

Imaginez donc ma réaction, la semaine dernière, lorsque j'ai appris qu'un enseignant du primaire avait supprimé les dernières paroles de l'Hymne à l'amour de Piaf : «Dieu réunit ceux qui s'aiment» sous prétexte de laïcité à l'école pour respecter les croyances de chacun.  Le chancre hideux et fortement contagieux de l'imbécillité a encore fait, me suis-je dit, une victime consentante...

Pire encore, une ligne ouverte radiophonique. captée pendant que je faisais la vaisselle, a failli pulvériser les assiettes que j'avais dans les mains, car plusieurs intervenants affirmaient qu'il fallait sortir toute allusion à la religion des écoles et ne présenter le fait religieux qu'à des adultes de dix-huit ans et plus.

Lorsque, dans le questionnaire de Proust, on demandait ce que je détestais le plus, j'avais commencé par répondre : les nouveaux riches; je me ravise maintenant, car j'avoue que les fanatiques, surtout ceux qui, prétendant s'opposer à un autre fanatisme, en rajoute une couche dans le domaine de l'intolérance, me font vomir!

La non-acceptation de ce qui fait partie de notre histoire culturelle au même titre que «Le nègre de Surinam» du Candide de Voltaire ou la leçon de français de Tintin aux petits noirs du Congo belge correspond, à peu de chose près, aux falsifications de l'histoire des régimes totalitaires comme celui de Staline ou de la Chine communiste.  L'Occident a été construit en grande partie par la religion, les cathédrales gothiques en témoigne partout à travers l'Europe; plusieurs nations européennes ont participé au commerce triangulaire; il y a eu des esclaves sur notre continent pendant longtemps.  Le dire, ce n'est pas l'approuver; enseigner cette histoire, c'est peut-être avant tout nous permettre de dire que nous sommes maintenant, heureusement, ailleurs, mais cela ne l'empêche pas d'avoir existé!

Je ne sais pas exactement où cela va nous conduire, mais je vois déjà, en classe, les prémisses de ce phénomène qu'évoquent les conférenciers en histoire de l'art, lorsqu'ils nous expliquent que nous ne connaissons plus la signification de tel ou tel symbole qui était pourtant parfaitement lisible au moment de la production de la peinture examinée.  Passe encore qu'il faille multiplier par trois les explications de la Communion de Van Dongen devant un groupe d'enfants musulmans que je promenais dans les salles du Musée et qui ont tous pris des mines dégoûtées lorsque je leur ai dit que le prêtre buvait le vin et prenait un morceau d'hostie avant d'en distribuer de plus petites aux fidèles.

Mais il est de plus en plus difficile de faire comprendre, ne serait-ce que le Tartuffe.  Et de me mettre à genoux en classe pour expliquer l'expression québécoise de «rongeux de balustre» qui fait autant image, chez nous, que la grenouille de bénitier ou la punaise de sacristie, créatures que je convoque pour expliquer le mot dévot.  C'est tellement, tellement loin pour eux... et même si j'ai les genoux qui craquent en me relevant, je n'ai pourtant pas l'impression d'être si vieille!

Pour reprendre une autre expression bien de chez nous, mais qu'il me faudra peut-être bientôt censurée: «Dieu seul sait ce qui s'en vient, pis le yâb s'en doute!»



P.S. Le «yâb» est une transcription phonétique de la prononciation orale du mot «diable» dans le contexte de l'expression précédemment citée.