Petits essais en forme de notules

Malraux définit le lecteur par vocation comme celui qui jouit de «la faculté d'éprouver comme présents les chefs-d'oeuvre du passé»...



Je souscris à cette définition et m'attacherai à présenter ici quelques réflexions au fil de mes lectures qui suivent rarement l'actualité littéraire, pour le plaisir de partager découvertes ou, éventuellement, récriminations... . Quoique, la vie étant bien courte, il vaut mieux, dans la mesure du possible, écarter le désagréable lorsque cela, comme il arrive trop rarement, est en notre pouvoir et vouloir.






vendredi 13 juillet 2012

Photo de la semaine (17) : petit poilu!


Je donne dans l'animalier ces temps-ci... la fréquentation des bêtes, c'est tout de même revigorant.

Voici donc le nouveau pensionnaire arrivé depuis peu chez mes tantes.  Il est, à vrai dire, en garde partagée entre mes tantes qui habitent à un jet de pierre et leur soeur, une autre, donc, de mes tantes, qui habite la maison familiale à, disons, un lancer de javelot par athlète olympique exceptionnel...

Dans la petite enclave d'un autre temps où nous habitons, circonscrite par un parc immobilier de plus en plus vorace, l'âge moyen est bien au-dessus des soixante-dix ans et c'est moi, ce qui est tout dire, qui fait baisser la moyenne!

L'arrivée d'une petite jeunesse poilue, crapaude et ratoureuse, met donc de la vie et du mouvement malgré la canicule qui devrait sévir jusqu'au milieu de la semaine prochaine.  

Même si la proposition d'Amartia proposait la présentation d'une photo hebdomadaire, vous me permettrez peut-être d'ajouter, ici, un passage de ma chère Colette auquel j'ai tout de suite songé en réfléchissant à mon billet d'aujourd'hui... Vous vous souvenez de ce chapitre intitulé pudiquement «Le rire»? C'est un des beaux chapitres du livre d'elle que je préfère : La Maison de Claudine.  Colette y raconte la réaction de sa mère à la mort du capitaine...

La dernière page décrit ce que nous avons probablement toutes vécu, l'âge aidant, puisque les deuils s'amoncellent au rythme des années : vous savez, lorsqu'on oublie, pour une première fois, que l'être vers lequel on avait l'habitude de se tourner pour la conversation, pour le compagnonnage des bons et des mauvais jours n'est plus... Notre intelligence a enregistré la disparition, nous avons même accompli toutes les tâches qui entourent cet évènement, mais nous ne l'avons pas encore vraiment accueilli en nous-même.  Je laisse la parole à Colette qui décrit cela mieux que moi et vous comprendrez  pourquoi j'ai associé ce passage à mon petit poilu...

Elle se leva brusquement, fit quelques pas vers une chambre vide et s'arrêta :

- Ah! c'est vrai...

Elle revint s'asseoir, avouant, d'un geste humble et simple, qu'elle venait, pour la première fois de la journée, d'oublier qu'il était mort.

-Veux-tu que je te donne à boire, maman? Tu ne voudrais pas te coucher?

-Eh non! Pourquoi? je ne suis pas malade!

Elle se rassit et commença d'apprendre la patience, en regardant sur le parquet, de la porte du salon à la porte de la chambre vide, un chemin poudreux, marqué par de gros souliers pesants.

Un petit chat entra, circonspect et naïf, un ordinaire et irrésistible chaton de quatre à cinq mois.  Il se jouait à lui-même une comédie majestueuse, mesurait son pas et portait la queue en cierge, à l'imitation des seigneurs matous.  Mais un saut périlleux en avant, que rien n'annonçait, le jeta séant par-dessus tête à nos pieds, où il prit peur de sa propre extravagance, se roula en turban, se mit debout sur ses pattes de derrière, dansa de biais, enfla le dos, se changea en toupie...

- Regarde-le, regarde-le, Minet-Chéri! Mon Dieu qu'il est drôle!

Et elle riait, ma mère en deuil, elle riait de son rire aigu de jeune fille et frappait dans ses mains devant le petit chat... Le souvenir fulgurant tarit cette cascade brillante, sécha dans les yeux de ma mère les larmes du rire.  Pourtant elle ne s'excusa pas d'avoir ri, ni ce jour-là, ni ceux qui suivirent, car elle nous fit cette grâce, ayant perdu celui qu'elle aimait d'amour, de demeurer parmi nous toute pareille à elle-même, acceptant sa douleur ainsi qu'elle eût accepté l'avènement d'une saisons lugubre et longue, mais recevant de toutes parts la bénédiction passagère de la joie, - elle vécut, balayée d'ombre et de lumière, courbée sous des tourmentes, résignée, changeante et généreuse, parée d'enfants, de fleurs et d'animaux comme un domaine nourricier.